Elle avait été dédiée par Louis XVI au grand maître des Eaux et Forêts François Dominique de Bastard qui avait été le maître d’œuvre de sa restauration. Restons à Pau pour suivre le devenir d’une autre forêt royale, celle appelée Lousse du nom d’une rivière (l’Ousse) dont ladite forêt suivait le cours sur 2 ou 3 kilomètres.
Une forêt déjà presque réduite en landes en 1673
Lousse avait été visitée en 1673 par le commissaire réformateur envoyé par Colbert. Son compte rendu de visite a disparu mais, en 1790, Jean de Laclède, alors maître particulier des Eaux et Forêts de Pau, en disposait encore et le recopiait. Il n’y restait « que des landes et quelques vieux arbres morts, bossus, rabougris et de nulle valeur et quelques menues broussailles de bois d’aulne entièrement abrouties » [1]. Il précisait que la ville de Pau qui y disposait du droit d’usage au pâturage n’avait jamais périodiquement planté de nouveaux chênes comme cela avait été prévu.
Des états des lieux au milieu du XVIIIe siècle
En juillet 1741, Bernard Minvielle arpentait la forêt de Lousse pour en faire un plan. Il la décrivait également : « partie bois et partie lande, le bois totalement étêté et déshonoré, absolument sur son retour, n’y ayant pas au-delà de douze cents chênes qui paraissent être venus naturellement et qui peuvent être de l’âge de plus de soixante-dix ans » [2]. On voit là quelle forme curieuse avait cette forêt au travers de laquelle serpente l’Ousse.
La forêt de Lousse, une… forêt ou des cultures ?
À l’automne 1767, Laclède, empli des progrès d’alors en agronomie, était persuadé que « cette forêt n’étant qu’une lande marécageuse pourrait, toutes choses balancées, devenir plus avantageuse pour la province par la culture ». Dans un mémoire, il va quand même développer complètement une autre possibilité, plus logique pour le responsable des forêts de la province : la repeupler en chênes mais alors par semence ou par plantation ? Comme on se demande encore aujourd’hui quelle est la meilleure technique pour installer du chêne, nous citerons complètement Laclède qui réalisait là en fait un véritable plan - pas très simple - de gestion.
Dans l'option semis, il découpait Lousse « en six carrés longs de cinquante-neuf arpents soixante-dix perches cinq sixièmes chacun, chaque canton devrait être fermé d’un fossé de cinq pieds de largeur sur quatre de profondeur avec une haie vive d’aubépine plantée à deux pieds du bord intérieur ». Il prévoyait aussi de redresser et curer le ruisseau de Lousse, drainer et remblayer les zones marécageuses ce qui pourrait être un objet de 6 000 ll [livres]. Laclède calculait une surface productive, hors « emplacements des fossés, haies, canaux, tranchées et issues pour les chemins pour y semer glands et faines dans 481 647 petits carrés (! N.D.L.R.). La semence et entretien pendant quatre ans coûteraient à raison de sept deniers par carré. Cette partie formerait donc une somme de 14 048 ll, 1 sol 3 deniers. Quant aux coupes futures, réglées à 25 ans, chacune, de contenance d’environ treize arpents, donnerait 7 000 ll. Pour lui, un semis devait ultérieurement être traité en taillis.
Un arrachis appauvri
L’option plantation offrait « des embarras qui ne seraient pas néanmoins moins grands, le soin d’entretenir les plants et de les armer d’épines [3], joint à la difficulté d’en trouver la quantité nécessaire pour la plantation générale n’ayant rien d’évident. Les chênes devraient être préférés à toute autre espèce d’arbres. On pourrait néanmoins mélanger la plantation de peupliers de Lombardie, par rapport à l’humidité du terrain, les plants devraient être de l’âge de sept à huit ans et bien venants. Il faudrait les placer à 15 pieds les uns des autres pour qu’ils devinssent vigoureux, ce qui ferait 77 063 arbres dans la totalité. Deux moyens se présentent pour se procurer cette quantité de plants. Le premier est l’établissement d’une pépinière, cette ressource est éloignée, dispendieuse et pleine d’embarras pour le succès. Le second est l’arrachis dans les bois mais la quantité de plants nécessaires étant immense, l’appauvrissement que cet arrachis occasionnerait serait d’autant plus nuisible que les habitants de la province de Béarn rétablissent leurs bois par des plançons qu’ils arrachent d’un côté et de l’autre. Ainsi ce que la forêt royale gagnerait, les autres bois le perdraient. La plantation et l’entretien de chaque arbre peuvent être évalués sept sols, ce qui formerait la somme de 26 972 ll 1 sol. Cet objet ne paraîtra pas trop fort si on considère que les plants sont rares et que les frais de transport, de la confection des trous pour la plantation, des épines pour armer les plançons et de l’entretien sont considérables. La somme de 6 000 ll pour le dessèchement des marais, le nivellement du terrain et le redressement du ruisseau étant ajouté à celle de 26 972 ll 1 sol forme celle de 32 972 ll 1 sol pour l’entier repeuplement.
Comme c’était alors la coutume en Béarn, ces plantations devaient être traitées en futaie « réglée en 80 coupes dont chacune donnerait 8 000 ll. Les routes qui avoisinent la forêt sont belles, la rivière du Gave qui passe à Pau est flottable jusqu’au port de Bayonne, ressources très grandes pour le débit des bois, pour la construction mais il y aurait peu d’arbres propres pour le service [4], l’exposition et la nature du terrain s’y opposeraient toujours, ils renfermeraient en eux-mêmes trop de parties aqueuses dont l’évaporation enlèverait sans cesse les sels et les soufres. L’adjudicataire de la vente pourrait se charger de rétablir la partie exploitée chaque année, cela pourrait former un des objets des charges de la vente, mais les embarras se perpétueraient ».
Lousse est mise en culture
En fait, Laclède avait une idée derrière la tête car « le terrain étant bien gouverné, pourrait devenir propre pour une variété de fruits et de végétaux. Il annonce donc que le maître particulier [lui-même !] traitera dans un mémoire séparé les différentes branches de culture qu’on pourrait y animer avec succès, justifiant alors une mise en culture et non un reboisement « parce qu’il y a suffisamment de bois aux environs de la ville de Pau pour la consommation de ses habitants ».
Cet argument fait sourire puisque, quelques mois auparavant, le même maître particulier expliquait que les travaux de reconstitution de la future forêt de Bastard étaient nécessaires car cette dernière forêt « ne saurait être trop conservée, la consommation de bois de chauffage et de charpente est prodigieuse dans la ville de Pau et aux environs ; chaque jour, il y revient rare et cher » [5].
Le 13 novembre 1770, Laclède obtenait concession « tant des marais et landes de Lousse que le ruisseau qui les traverse, connus sous la dénomination de forêt royale de Lousse à la charge par le suppliant de faire dessécher lesdits marais et défricher lesdites landes dans le temps et l’espace de dix années et de payer au Domaine de Sa Majesté une redevance annuelle et perpétuelle de deux sols par chaque arpent » [6].
Une lettre du 17 octobre 1780, raconte la suite de cette entreprise : quelque temps après cet arrêt, le sieur de Laclède, maître particulier de la maîtrise de Pau, s’est aussitôt occupé des différents travaux nécessaires pour opérer les dessèchements, défrichements et améliorations des terrains. D’abord, il a, suivant ce qu’il expose, fait faire des fossés et doubles fossés, des plantations, des barrières, des labours considérables pour parvenir à amender les terres. Ensuite, il s’est occupé de faire faire une digue dont la construction lui a été permise par un arrêt du Conseil du 17 mars 1778, pour détourner l’eau du ruisseau dont est question à fin d’en changer le lit pour, à la faveur de canaux pratiqués à cet effet, porter la fertilité dans les terrains plus arides. Ensuite, il s’est occupé à essayer différents terrains pour s’assurer de leur production.
Laclède demandait un délai et fournissait un plan qui donne alors une idée très précise de l’état des lieux. Le terrain est toujours royal mais le nom de forêt a disparu remplacé par celui de « marais et landes de Lousse ».
Épilogue
La fin de qui était devenu le « domaine de Saint-Sauveur de L’Ousse » est connue. Après l’envahissement de l’hôtel de Laclède en 1789, le domaine avait été dévasté en 1790 et 1791, « des fossés abaissés et détruits, des touyas et des taillis incendiés jusqu’à la racine, des arbres arrachés, des digues démolies, des champs ensemencés dévorés en herbe ou en moisson, des centaines de têtes de bétail mises à paître et répandues de jour et de nuit sous la garde de divers satellites armés dans ce domaine immense, un grand jardin couvert de légume et tout garni d’arbres à fruits rendu ras comme un pré fauché, une maison, des granges forcées, saccagées, pillées, démolies »… racontait en 1876 un auteur anonyme.
Le 9 vendémiaire an VII (30 septembre 1798), Laclède portait plainte pour cette destruction. Sans résultat ; les héritiers de Laclède vendront l’ancienne forêt royale en 46 lots. Elle est aujourd’hui devenue un fantôme bien visible pour qui survole la ville de Pau…, le quartier de « l’Ousse au bois » ! Y subsistent des parties boisées dans les zones les plus humides. La ville de Pau a bien absorbé et détruit - définition de la phagocytose - une ancienne forêt royale.
[1] Arch. dép. Lot-et-Garonne, 161 J.
[2] Arch. nat., Q 1 956.
[3] Les barbelés ou protections plastiques étaient alors remplacés par des « touyas », le très épineux ajonc d’Europe.
[4] Bois d’œuvre.
[5] Arch. Nat., Q 1 946 pour cette citation et la suivante.
[6] Arch. dép. Pyrénées-Atlantiques, B 2004.