Après des années difficiles en 2012, 2013, la scierie industrielle européenne de résineux tente de rebondir. Entre 2014 et 2015, de nombreuses affaires ont changé de main. De nouveaux leaders ont émergé, augmentant par là-même leur force de frappe volumétrique. Revue de détails à partir du Rapport annuel 2015 de l’Industrie du bois Suisse.
En 2015, les vingt plus grands producteurs de résineux européens ont produit 33,5 Mm3 de sciages, soit 41% des 81 Mm3 débités. Ce sont aussi 121 sites de production assurant une moyenne de débitage de 277.000 m3. Stora Enso reste de loin le plus grand producteur européen. Le groupe finlandais, propriétaire de 18 sites, a produit 4,6 Mm3, mais 1,3 Mm3 de moins qu’en 2008, année correspondante au sommet de production avant crise. Ce chiffre est à mettre en parallèle avec les plus grands scieurs mondiaux, les Canadiens West Fraser et Canfor produisant chacun plus de 8 Mm3 et le troisième, américain, Weyerhaeuser débitant plus de 6,5 Mm3.
En Europe, les deuxième Ilim Timber, troisième Moelven Group, quatrième Södra Timber et cinquième SCA Timber ont tous produit plus ou moins 2 Mm3/an. La structure de ces entreprises est très variée. Elles possèdent de 1 à 19 sites, selon les groupes.
A la lecture des résultats du top 20, le seul repère chiffré qui dénote est celui du groupe Klausner. Ses 0,9 Mm3 s’expliquent par la vente de l’usine de Kodersdorf au scieur autrichien Schweighofer, par la suppression de 145 postes de travail ainsi que par l’introduction du travail en deux postes sur le site de Friesau. On est très loin des 4 Mm3, sommet de production atteint en 2008. Occasion de rappeler que le tyrolien Fritz Klausner a bénéficié de très larges subventions pour construire la scierie de Friesau en Thuringe du Sud (ex-Allemagne de l'Est), puis quatre autres usines. Il a aussi conclu des contrats d’approvisionnement très favorables avec les forêts d’Etat, mais rencontré des problèmes à partir de 2013 pour non-respect des clauses initiales. Le groupe Klausner entendait viser le marché américain de la construction, mais la crise des subprimes, puis la crise financière mondiale, ont brisé son élan commercial et surtout fait chuter son volume de production. Si sa première scierie de Friesau est toujours aux mains de Fritz Klausner, celles de Wismar et de Landsberg sont allées au Russe Ilim Timber. Celle d’Adelebsen à Södra, qui en a démonté les machines pour les utiliser en Suède, et enfin celle de Kodersdorf est tombée dans l’escarcelle de Schweighofer. Dans ce panorama, il est à noter la montée en puissance de l’Autrichien Schweighofer, 3.000 employés, qui prévoit un volume de débitage de 2,3 Mm3 en 2016. Si cela se confirme, le groupe se hisserait au deuxième rang du top 20 européen. Une augmentation permise par ses usines de Reci en Roumanie, entrées en fonctionnement l’année dernière et par celle de Kodersdorf rachetée fin octobre au groupe Klausner. Cependant, des démêlés avec la justice roumaine pourraient contrarier cette expansion en rendant l’achat des grumes plus difficiles. Mi-2105, en effet, des irrégularités auraient été constatées sur des stocks de bois et des pièces comptables. Au final des soupçons de coupes de bois illégales pèsent sur le groupe Schweighofer Greenpeace a mis de l’huile sur le feu en dénonçant des coupes illégales de plus d'un million de m3 de bois entre 2013 et 2014. Un reportage de la chaîne Arte en septembre 2015, en caméra cachée, a même entraîné le licenciement de plusieurs cadres de l’entreprise.
Dans l’étude du top 20 du sciage européen, on peut aussi noter que l’allemand Rettenmeier a racheté en avril dernier la scierie du groupe Ikea implantée en Lettonie à Incukalns. On remarque également que Versowood, quatorzième du classement, et BSW se développent progressivement. Ce dernier groupe a racheté la scierie anglaise, R.F. Giddings de Southampton en 2014. Binderholz a aussi repris, début janvier, deux scieries de Vapo Timber à Nurmes et à Lieska, en Finlande. Le groupe qui devrait avoir la plus forte croissance entre 2015 et 2016 prévoit un volume de sciage résineux de 1,6 Mm3. La raison qui a motivé cet achat est la présence d’une matière première d’épicéa et de pin de premier choix. Enfin Fruytier, le groupe de sciage luxembourgeois dont les sites de production sont en France et en Belgique, souhaite augmenter sa production de 14%, ce qui porterait son volume de sciage à 1,25 Mm3.
Quid de la scierie française ?
Dans le concert européen de la scierie, comment la France se place-t-elle ? Selon les données d'Agreste, moins de 8 Mm3 de sciages ont été produits en 2014 (7,934 Mm3). Soit 1,304 Mm3 en feuillus et 6,358 Mm3 en résineux. Des chiffres très éloignés de ceux enregistrés en 2007, le pic de production avant crise, qui atteignait près de 10 Mm3 : 1,751 Mm3 pour le feuillu et 8,073 Mm3 pour le résineux ! Le secteur a perdu entre 2007 et 2014 près de 0,4 Mm3 en feuillus et 1,7 Mm3 en résineux.
On dénombrait 1.589 entreprises en 2014. On constate que le secteur a perdu moins d’entreprises ces cinq dernières années : une cinquantaine par an contre près de cent au cours des dernières décennies. Si l’optimisme semble revenu du côté des scieurs de feuillus qui ont retrouvé leurs marchés porteurs : parquet, traverses, menuiserie, etc., c’est loin d’être aussi flagrant chez les scieurs de résineux qui subissent une atonie des marchés de la construction, plombés à moins de 350.000 mises en chantier annuelles !
Du côté des leaders du résineux français, avec des volumes de sciages autour de 0,4 Mm3, aucun ne figure dans le top 20 des scieurs européens. Avec un volume de sciage de 6,3 Mm3 en 2014, la scierie française de conifères conserve sa quatrième place derrière l’Autriche (8,3 Mm3). Loin des 17,5 Mm3 suédois et des 21 Mm3 allemands.
On notera tout de même que les sciages de conifères français sont davantage séchés artificiellement en 2014, 0,734 Mm3, qu’en 2005, 0,429 Mm3, soit presque le double. Avec plus de 10% du volume séché, c’est la preuve que les scieurs de résineux sont bien rentrés dans la revalorisation des sciages : le séchage en est la première étape. Par contre, pour le séchage du feuillu on relève une régression : 0,185 Mm3 en 2014 pour 0,238 Mm3 en 2005, soit une réduction de près d'un tiers du volume.
Toujours un excédent de l'offre
A partir des analyses précédentes, on peut noter plusieurs constantes : pas de construction pure de nouvelle scierie ; rachat de sites par fusion-acquisition ; volonté de s’approcher d’une ressource forestière particulière (Klausner pour le pin jaune de Floride, Binder pour l’épicéa et le pin finlandais, Fruytier pour le douglas du beaujolais) ; montée en puissance des leaders avec des chiffres tendant vers les records de 2008 ; choix de plusieurs groupes d'investir à l'extérieur de leur pays d’origine (Klausner aux États-Unis, Versowood vers l’Angleterre et Fruytier vers la France) ; et des perspectives positives de débouchés pour la construction d’immeubles, notamment grâce aux produits techniques, le CLT étant celui qui est le plus mis en exergue.
Pour autant, même si les volumes de sciage se maintiennent et semblent même repartir à la hausse pour plusieurs groupes de sciage, peut-on dire qu’un trait est tiré sur la crise ? Il est sans doute encore trop tôt. Sampsa Auvinen, président de l’OES, déclarait d’ailleurs à l’automne 2015 : «Il y a toujours un excédent de l’offre». Si le Sud de l’Europe souffre d’une crise économique persistante, les «pays du Levant» deviennent des acheteurs toujours plus importants. 13 Mm3 de sciages résineux auraient été exportés en 2015 en direction des pays allant du Maroc à la péninsule Arabique. 1 Mm3 de plus pourrait être gagné d’ici 2017. Dans ces pays, la croissance est quatre fois plus forte que celle de l’UE. En Europe, l’Allemagne reste le pays leader avec plus de 20 Mm3 de sciages produits par an depuis plus d’une décennie. Mais la scierie allemande continue de digérer la difficile année 2012, où les entreprises ont subi une perte de 7 euros/m3. Lars Schmidt, directeur de la Bundesverbands Deutsche Säge-und Holzindustrie (DeSH), se dit «pas surpris du blocage des investissements dans la branche». Même si des scieries se rachètent, dans le secteur des produits, il n’y a quasiment plus de recherche & développement.
Pour Lars Schmidt, «des prix des grumes 34% au-dessus du prix mondial, et même 50% au-dessus de ceux payés par les scieurs nordiques, constituent l'autre handicap de la compétitivité des scieries allemandes. Le directeur de la DeSH positive tout de même en précisant que «2016 devrait être une nouvelle année de consolidation».
Globalement, il semble que les groupes se concentrent désormais davantage sur l’optimisation des process que sur l’amélioration technique des produits. L’association des scieurs suisses ne dit pas autre chose. Afin de surmonter la crise, les entreprises de transformation du bois ont sans cesse introduit des mesures d’optimisation et continuent d'investir dans la rationalisation et les innovations.
De notre correspondant
Maurice Chalayer