Les échanges directs de produits bois entre la France, la Russie et l’Ukraine sont dans l’ensemble peu développés. Toutefois, les sanctions prises par plusieurs pays pour tenter de convaincre le président russe d’arrêter la guerre qu’il a déclenché en Ukraine depuis le 24 février peuvent avoir des conséquences sur une économie globale du bois à laquelle participe la filière française. « Pour le moment (NDLR : au 9 mars), aucune mesure n'est prise pour arrêter l'approvisionnement de l'UE en bois en provenance de Russie », indique l’association Le Commerce du bois (LCB) sur une page de son site qu’elle actualise en fonction des évolutions de la situation. « Néanmoins, on peut s'attendre à des impacts financiers et logistiques ajoutant à la volatilité des marchés. En effet, les sanctions financières de l’UE peuvent compliquer les transactions financières et la logistique pour les approvisionnements. A titre d’exemple, certains armateurs ont d’ores et déjà stoppé leurs bookings au départ et à destination de la Russie (CMA CGM, Maersk,...). A ce jour (NDLR : 9 mars) la majorité du transport par container est bloqué mais les bois peuvent encore être rapatriés via des navires conventionnels ou en Roro (1). Pour s’adapter à ces difficultés, les importateurs et raboteurs réorientent leurs approvisionnements vers des pays scandinaves, leur bon niveau de stock leur permet aussi de trouver des alternatives. Concernant la Biélorussie, le 2 mars le conseil de l’UE a décidé d’aller plus loin, en instaurant une nouvelle vague de sanctions, compte tenu de son rôle dans l’invasion de l'Ukraine par la Russie. Le Conseil a notamment instauré l’interdiction, jusqu’en juin 2022 d’importer dans l’UE des produits du bois originaires de Biélorussie ou exportés depuis la Biélorussie, d’acheter des produits du bois qui sont situés en Biélorussie ou sont originaires de ce pays, de transporter des produits du bois s’ils sont originaires de Biélorussie ou exportés depuis la Biélorussie vers tout autre pays, et de fournir une assistance technique, des services de courtage, un financement ou une assistance financière, y compris des produits financiers dérivés, ainsi que des produits d'assurance et de réassurance, en lien avec les interdictions précédentes. »
Des conséquences pour l’industrie en général…
Le 9 mars, la Confédération européenne des industries du bois (CEI-bois) et l’Organisation européenne de l'industrie de la scierie (EOS) ont quant à elles expliqué qu’il fallait s'attendre à un choc dans la chaîne de valeur des produits du bois. « La guerre en Ukraine a déjà un impact sur les chaînes de transport et d'approvisionnement dans plusieurs pays. À l'issue d'une réunion des principaux organismes commerciaux de l'industrie du bois – la CEI-Bois et l'EOS – il a été reconnu que l'invasion de l'Ukraine par la Russie constitue une menace réelle pour la paix et la sécurité en Europe et qu'il faut s'attendre à des conséquences directes sur le secteur du bois », ont indiqué les deux organisations professionnelles par voie de communiqué. « Dans le même temps, l'industrie européenne du bois comprend les décisions relatives à l'interdiction du commerce entre l'Europe et la Biélorussie, telles qu'elles ressortent du règlement du Conseil (UE) 2022/355, qui introduit une interdiction de tous les produits du bois en provenance de Biélorussie en réponse à la guerre en cours en Ukraine. Nous prévoyons que des mesures similaires seront appliquées aux produits bois russes. Les membres ont également soutenu la décision prise par PEFC de classer les produits biélorusses et russes comme "bois de conflit" et donc inéligibles à la certification accréditée. De même, l'industrie européenne du bois se félicite que le bois et les produits forestiers de Russie et de Biélorussie ne puissent pas être utilisés dans des produits FSC ou être vendus comme certifiés FSC partout dans le monde tant que le conflit armé se poursuit (lire encadré : « Certification forestière : PEFC et FSC prennent position »). L'interdiction du commerce aura de graves conséquences sur l'approvisionnement du marché européen. Selon les statistiques officielles, un peu moins de 10% du bois résineux scié consommé en Europe en 2021 provenait de Russie, du Belarus et d'Ukraine. Dans le secteur des feuillus, les produits en chêne originaires d'Ukraine représentaient une quantité importante ». CEI Bois et EOS estiment que des pénuries sont à prévoir et indiquent qu’elles travaillent avec les institutions de l'Union européenne et les gouvernements nationaux européens pour identifier des mesures qui permettraient d'atténuer l’impact sur la filière forêt-bois de sanctions commerciales jugées « nécessaires » dans le contexte actuel. « Au-delà de la tragédie humaine que ce conflit provoque, l'industrie européenne du bois sera affectée négativement par une pénurie de produits en bois », ajoute Silvia Melegari, secrétaire générale de CEI-Bois et EOS. « Bien que les entreprises travaillent déjà pour faire face à la situation actuelle, il est indéniable que notre secteur aura besoin d'interventions immédiates de la part des gouvernements nationaux et des institutions européennes sur la manière d'éviter une pénurie critique de grumes. L'industrie européenne du bois espère une résolution rapide et pacifique du conflit en cours en Ukraine ». Les deux organisations professionnelles précisent que « l'interdiction du commerce des produits du bois aura un impact négatif sur plusieurs chaînes d'approvisionnement industrielles critiques, comme l'alimentation et les médicaments, dont la logistique repose sur les palettes en bois. De nombreux matériaux de construction à base de bois, tels que le contreplaqué de bouleau et le bois de sciage, seront très durement touchés, ce qui pourrait entraver les efforts de l'UE en faveur de la décarbonisation de l'environnement bâti dans le cadre du Green Deal. En outre, un nombre disproportionné de chauffeurs routiers européens sont ukrainiens, et ils sont maintenant retournés défendre leur pays, exacerbant une pénurie de chauffeurs déjà existante en raison de la pandémie de Covid. Cette situation vient s'ajouter à un certain nombre de déséquilibres et d'autres défis qui ont déjà un impact négatif sur la logistique internationale ».
… et la palette en particulier
Sur le plan logistique, l’association internationale Epal estime elle aussi que la guerre en Ukraine et les sanctions imposées par l’UE à la Russie et à la Biélorussie auront un impact durable sur le marché européen des palettes. « L’Epal reçoit régulièrement des informations de la part de ses titulaires de licence en Ukraine exprimant des besoins d’aide et elle soutiendra activement la population ukrainienne », écrivait le 8 mars cette association dans un texte où elle témoigne sa compassion, son inquiétude et sa solidarité au peuple ukrainien. « L’Epal soutient les sanctions de l’UE dans l’espoir qu’elles contribueront à mettre rapidement fin à la guerre, à la violence et aux déplacements forcés des populations. En raison de la guerre, la production de palettes Europe Epal en Ukraine est actuellement interrompue dans bon nombre d’entreprises. Par ailleurs, actuellement l’Ukraine n’exporte quasiment plus de bois destiné à la fabrication de palettes et d’emballage vers l’Europe. En raison des sanctions contre la Russie et la Biélorussie, le bois importé de ces pays en Europe au cours des dernières années fera également défaut dans tous les secteurs de la transformation du bois. De même, on manquera de chauffeurs de poids lourds originaires d’Ukraine, de Russie et de Biélorussie, ce qui risque de causer du retard également dans le transport de matériaux et de palettes ». Pour le président de l’Epal Robert Holliger, « la guerre et les sanctions vont également peser sur la production de palettes Europe Epal dans les pays de l’UE. Dans cette situation, comme toujours en cas de pénurie de bois ou d’augmentation du prix du bois, on constate toutefois que la réutilisation répétée durant plusieurs années de palettes échangeables comme les palettes Europe Epal permet d’éviter ou de réduire les difficultés en approvisionnement en palettes. Nous nous attendons donc à une forte croissance de la demande de palettes Europe EPAL neuves ». L’association appelle les utilisateurs de ses produits à planifier leurs besoins avec leurs fournisseurs pour toute l’année 2022 car elle estime par ailleurs qu’il est « d’ores et déjà probable que des goulets d’étranglement et des retards de livraison puissent apparaître dans les mois à venir concernant la fourniture de palettes Europe Epal neuves. […] Cela entraînera en même temps une augmentation significative de la demande en palettes Europe EPAL d’occasion et réparées de toutes les classes de qualité ». Elle ajoute que « les pénuries attendues dans l’approvisionnement en bois ainsi que l’augmentation des prix de l’énergie, du transport et des matières premières auront également un impact sur les prix du bois à palette et des palettes Europe Epal ».
(1) Abréviation de l'expression anglaise Roll-on/Roll-off qui signifie "entrer en roulant/sortir en roulant". Le navire roulier est utilisé pour le transport de matériel roulant.
Zoom / Certification forestière : PEFC et FSC prennent position
Sur son site internet, PEFC France indique que suite à une réunion extraordinaire de PEFC International, « le bois provenant de Russie et de Biélorussie doit être considéré comme du bois de conflit. […] Le standard de chaîne de contrôle PEFC considère le bois de conflit comme une source controversée (PEFC ST 2002:2020 3.7), qui ne peut être utilisée dans les groupes de produits certifiés PEFC (PEFC ST 2002:2020 Annexe 1 6.1). La clarification selon laquelle le bois provenant de Russie et de Biélorussie doit être classé dans la catégorie « bois de conflit » est basée sur la résolution A/ES-11/L.1 (2 mars 2022) de l’Assemblée générale des Nations unies « Agressions contre l’Ukraine » lors de la 11e session extraordinaire d’urgence, afin de préserver l’intégrité de la certification de chaîne de contrôle PEFC. Cette clarification s’applique à toutes les matières forestières et à base de bois passant par un système de diligence raisonnée PEFC (PEFC DDS) après le 2 mars 2022, 11h55 EST (adoption de la résolution A/ES-11/L.1 de l’Assemblée générale des Nations unies). Les matières pour lesquelles le PEFC DDS a été appliqué avant cette date et pour lesquels le DDS a entraîné un risque négligeable peuvent être utilisées et mises sur le marché ».
De son côté, FSC France explique « qu’après une analyse approfondie de l'impact potentiel du retrait de la certification FSC, le Conseil d'administration de FSC International a convenu de suspendre, en Russie et en Biélorussie, tous les certificats des entreprises effectuant des transactions commerciales et de bloquer tout approvisionnement en bois contrôlé en provenance de ces deux pays. Cela signifie que le bois et les produits forestiers provenant de Russie et de Biélorussie ne peuvent pas être utilisés dans des produits certifiés FSC ou être vendus comme étant certifiés FSC partout dans le monde tant que le conflit armé se poursuit ». L’organisation non gouvernementale souligne qu’elle continue à suivre de près la situation et qu’elle est prête à prendre des mesures supplémentaires pour protéger l'intégrité de son système. Elle précise que dans la perspective de continuer à protéger les forêts en Russie, elle permettra aux détenteurs de certificats de gestion forestière en Russie de maintenir leur certification de gestion forestière, mais sans autorisation de négoce ou de vente de bois certifié FSC. « Toutes nos pensées vont à l'Ukraine et à son peuple, et nous partageons leurs espoirs d'un retour à la paix. Nous exprimons également notre sympathie envers les personnes en Biélorussie et en Russie qui ne veulent pas de cette guerre », ajoute le directeur général du FSC, Kim Carstensen. « Nous devons agir contre l'agression ; en même temps, nous devons remplir notre mission de préservation des forêts. Nous pensons que le fait d'arrêter tout commerce de produits certifiés FSC ou contrôlés, tout en maintenant l'option de gérer les forêts selon les normes FSC, répond à ces deux besoins ».