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En direct avec... Philippe Siat, président de la Fédération nationale du bois

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Le Bois International - La FNB a mis en place fin mars une cellule de crise pour aider les entreprises à faire face aux conséquences de l’épidémie de Covid-19. Quel bilan faites-vous de cette action ?



Philippe Siat : Cette cellule de crise nous a permis d’organiser de nombreuses réunions, que ce soit par téléphone ou par visioconférence. Beaucoup de sujets ont été traités directement avec les entreprises. Quant aux dossiers qui ne peuvent être travaillés qu’en présentiel, ils devront attendre des jours meilleurs pour un aboutissement. Au niveau de la FNB, nous avons augmenté la fréquence de réunion des instances dirigeantes, avec un rendez-vous fixé tous les quinze jours. Dans le cadre de notre cellule de crise, nous avons vulgarisé toutes les notes de l’État pour les rendre accessibles au plus grand nombre, avec un service individuel pour les entreprises qui le souhaitaient, afin qu’elles puissent bénéficier au maximum des dispositifs de soutien mis en place (prêt garanti par l’État, chômage partiel, report de cotisations...). Toutes ces informations ont été diffusées sur un site internet dédié. Nous avons aussi distribué 650.000 masques, qui ont permis aux entreprises d’assurer la continuité de leur activité. Quatre commandes ont été passées et la dernière a été terminée début juin. Nous avons par ailleurs organisé chaque semaine un à deux webinaires, sur des thématiques très concrètes et opérationnelles, telles que : «Comment bénéficier du dispositif d’assurance-crédit mis en place par Groupama ?» ; «Comment établir la paie dans le cadre du chômage partiel ?» ou encore : «Comment déposer un dossier de chômage partiel auprès de l’État ?».

L.B.I. - Dans le cadre de sa cellule de crise, la FNB a également créé un observatoire du chômage partiel pour suivre l’évolution de la conjoncture économique. À quel niveau se situe désormais le volume d’activité dans la filière ?



P. S. : L’observatoire nous a permis d’avoir une vue la plus large possible. Nous avons partagé ses résultats bien au-delà des adhérents de la fédération. Chaque fin de semaine, nous adressions également un rapport à l’Élysée, à Matignon, ainsi qu’aux principaux ministères, pour présenter l’évolution de la situation et transmettre les interrogations en cours dans la filière. Malgré la mise en place de prêts aidés par l’État, certaines entreprises rencontrent encore des difficultés. Il ne faut pas oublier qu’actuellement, 43% d’entre elles ne dépassent pas 70% de leur chiffre d’affaires d’avant la crise sanitaire et 18% disposent de moins d’un mois d’avance de trésorerie.

L.B.I. - Dans ce contexte, comment envisagez-vous l’évolution de la situation pour les entreprises dans les prochaines semaines ?



P. S. : Il y a une montée en puissance de l’activité mais elle n’est pas encore intégrale. Au début du confinement, la première et la seconde transformation étaient à la peine alors que la palette et l’emballage léger ont montré toute l’importance de leur secteur en répondant rapidement à la demande pour assurer la livraison de denrées alimentaires. Ces deux secteurs, comme le parquet, ont actuellement des volumes d’activité en dessous de la moyenne car la construction ou l’industrie lourde n’ont pas encore retrouvé leurs rythmes de croisière.

En revanche, la situation s’est bien améliorée dans d’autres domaines, notamment pour la seconde transformation, le bois de chauffage, les granulés, ou encore les pépiniéristes. Pour les transformateurs de résineux, nous sommes dans une phase d’amélioration forte. Je serais moins affirmatif pour l’industrie du meuble et la transformation du hêtre. Quant au chêne, que ce soit pour la fabrication de parquet ou de traverses de chemin de fer, la situation est pour l’instant compliquée et risque de le rester à l’avenir avec un budget de la SNCF qui sera automatiquement mis sous pression.


L.B.I. - Depuis la fin de la période de confinement de la population, la FNB demande une évolution du système d’assurance-crédit disponible en France. Quel est l’enjeu pour les entreprises de la filière forêt-bois ?



P. S. : L’assurance-crédit représente plusieurs centaines de milliards d’euros et il s’agit d’un des moteurs de la croissance et de la relance. En France, l’assurance-crédit cote chaque entreprise. Comme ce secteur a actuellement une lecture de la situation relativement pessimiste, il réduit la couverture du crédit interentreprises, ce qui oblige les professionnels à payer plus cher pour avoir accès aux dispositifs types Cap, Cap+, Cap export. Lancés en 2009, ceux-ci ont été réactivés rapidement par l’État, mais l’ampleur de la crise actuelle appelle la création d’outils d’une autre envergure. En Allemagne, les entreprises payent leurs cotisations à l’assureur-crédit, qui conserve 36% du montant pour ses frais fixes, et reverse le reste à l’État, auquel est transférée directement la garantie. Ce système permet de couvrir un volume d’affaires de 500 millions d’euros et une défaillance éventuelle de paiements pouvant aller jusqu’à 30 milliards. C’est une solution qui permet de satisfaire toutes les parties et nous demandons donc que le dispositif français évolue vers ce modèle. En France, le prêt garanti par l’État est budgété à 300 milliards d’euros et a priori nous ne dépasserons pas 130 milliards de consommation. Nous proposons donc de basculer une partie de cette différence vers l’assurance-crédit pour que l’État n’ait pas à créer un engagement budgétaire supplémentaire. Nous espérons que notre demande sera entendue pour être intégrée, soit à l’initiative du Gouvernement, soit par voie d’amendement, au projet de loi de finance rectificative n° 3, qui sera présenté dans les prochains jours.

L.B.I. - la FNB a cosigné début juin, avec six organisations professionnelles (1), un document dans lequel est rappelé le rôle clé que peut être amené à jouer le bois dans le cadre de la future Réglementation environnementale, dont l’appli- cation devrait être effective à partir de l’été 2021. Quel est l’objectif de cette démarche ?



P. S. : Dans le cadre de la Réglementation environnementale 2020 (RE 2020), tout le monde ne goûte pas la volonté affichée de mettre en œuvre plus de matériaux et d’énergies renouvelables. Il est important de soutenir la cause du bois, dans sa globalité, que ce soit sous forme de matériau ou d’énergie. Nous demandons que l’État régule les allégations environnementales sur les matériaux, et en particulier celles que peuvent utiliser certains secteurs se revendiquant «bas-carbone». Pour dire les choses clairement, les lobbies du béton ont manipulé les chiffres «carbone» et nous demandons désormais à la DGCCRF  d’être le garant d’une concurrence loyale. Notre matériau stocke du carbone. Le béton, même allégé, si tant est qu’il ait le droit d’utiliser le terme «bas carbone», se contente d’une moindre émission. Nous ne voulons pas laisser s’installer l’idée que des produits qui stockent du carbone et des produits qui en émettent moins sont dans le même univers. Actuellement, d’importantes sommes d’argent sont mobilisées pour aider des secteurs comme l’automobile ou l’aéronautique et nous ne voulons pas que les industries vertueuses soient encore une fois oubliées. Au niveau européen, des États peuvent être tentés de mobiliser des fonds pour aider les industries les plus polluantes à réduire leurs niveaux d’émissions en oubliant qu’il y a un chemin plus court à emprunter pour atteindre les objectifs avec les produits qui stockent du carbone, comme le bois.

Dans le même registre, un recours en justice contre l’inclusion de la biomasse dans la directive européenne sur les énergies renouvelables avait été déposé le 4 mars 2019 par un groupe constitué de particuliers et d’organisations non gouvernementales. Il vient d’être jugé irrecevable par la Cour européenne de justice. Cette décision confirme que le bois est bien une énergie renouvelable à part entière parce que la gestion des forêts est durable.

Elle conforte les travaux sur les critères de durabilité de la biomasse réalisés par la filière au niveau européen et dissipe les doutes sur l’avenir de la plus grande source d’énergie renouvelable. Le travail mené par les décideurs et les experts au cours de nombreuses années de consultations, le débat scientifique, et la collecte de preuves qui ont conduit au cadre de durabilité de la directive Red II, sont reconnus comme une approche solide. S’il est produit de manière durable, le bois-énergie apporte des avantages environnementaux et socio-économiques considérables.


L.B.I. - Mi-juillet, la députée du Nord An- ne-Laure Cattelot remettra au Gouvernement les conclusions de sa mission sur la forêt et la filière bois. Qu’attendez-vous de son rapport ?



P. S. : Même si nos travaux avec madame Cattelot ont quelque peu été mis entre parenthèses pendant la période de confinement, nous attendons des actions suite à son rapport. Il y a notamment un enjeu important à travailler au niveau de l’acceptabilité de la récolte du bois. On n’adaptera pas la forêt au changement climatique sans plantation. On ne restaurera par les couverts forestiers suite à la crise des scolytes sans plantation. Et nous ne deviendrons pas com- pétitifs si nous mettons en place des contraintes franco-françaises au niveau de la récolte du bois. En France, nous avons une gestion durable qui fonctionne bien et il ne faudrait pas la plomber par des mesures excessives qui nous feraient sortir du marché par rapport à tous nos concurrents d’importation. Nous attendons de madame Cattelot qu’elle nous aide à faire progresser la cause du bois

L.B.I. - Sur quels autres dossiers planche actuellement la FNB ?

P.S. : En 2018, nous avions sauvé la possibilité pour les entreprises de bénéficier du remboursement partiel de la TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques) sur le GNR, le fioul lourd, le GPL, et de la TICGN (Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel) sur le gaz naturel, acquis pour les travaux agricoles et forestiers. L’État avait cependant instauré à l’époque une discrimination en fondant la distribution de ce remboursement sur l’affiliation à la MSA pour les exploitants forestiers.

Nous avons obtenu du ministère de l’Agriculture et de Bercy que ce remboursement soit désormais ouvert à tous les exploitants forestiers, qu’ils soient affiliés ou non à la MSA, et que l’activité soit exercée à titre principal ou accessoire. L’enjeu porte sur un remboursement de 0,1496 euros/litre de GNR au titre de l’exercice 2019 et du 1er semestre 2020 et de 0,3382 euros/litre à partir du 1er juillet 2020. Soit un gros chèque annuel souvent à 5 chiffres pour les entreprises.

Avec l’Organisation européenne des scieries (OES) et la FAO, la commission «seconde transformation» de la FNB travaillait par ailleurs depuis de nombreux mois sur les modifications à apporter aux codes des produits agricoles et forestiers dans la nomenclature du Système harmonisé international. Nos demandes ont été prises en considération et à partir de janvier 2022, il sera désormais possible de suivre correctement les exportations et les importations de produits de bois d’œuvre de construction, notamment le bois lamellé-collé, le CLT et les poutres en I. La révision du Système harmonisé de nomenclature tarifaire, système internationalement normalisé de noms et de numéros qui permet de classer les produits échangés, a lieu tous les cinq ans. La prochaine mise à jour de cet outil, qui constitue la base des statistiques douanières, est programmée en 2027 et la collecte des in- trants aura lieu sur la période 2022-2024.

La Commission économique pour l’Europe et la FAO prépareront un plan en 2021 pour recueillir les contributions des autorités nationales et des acteurs de l’industrie forestière. La FNB continuera de suivre cette question et nous demanderons à nos membres s’il y a des éléments à proposer dans le cadre de la révision 2027. Fin 2022, une soumission sera préparée pour le sous-comité d’examen harmonisé de l’Organisation mondiale des douanes.

L.B.I. - Quels seront les principaux défis que la filière bois va devoir relever dans les prochains mois ?



P. S. : Le confinement a porté ses fruits et nous devrions retrouver un meilleur niveau d’activité dans les mois qui arrivent. Mais l’invasion de scolytes dans les forêts se poursuit et nous pensons que le pic n’a pas encore été atteint. Nous estimons qu’au cours des cinq prochaines années, la présence de cet insecte ravageur pourrait être équivalente, voire supérieure, aux niveaux connus jusqu’ici. D’autres essences sont également menacées. Le manque d’eau et les fortes chaleurs conduisent au dépérissement du hêtre et du sapin. Le chêne subit des attaques de chenilles processionnaires. Le réchauffement climatique a une influence très forte sur notre environnement et nous sommes étonnés du manque de cellule de crise au plan national pour essayer de travailler et de mettre en place des actions qui se projettent vers l’avenir.

Au sein de la profession, il y a eu de bonnes discussions sur des demandes du ministère de l’Agriculture pour savoir comment faire évoluer la forêt, mais il y a une inertie très forte et ces dossiers ne sortent pas. Nous regrettons qu’il n’y ait pas de prise de responsabilité sur ces actions pour la filière bois. Nous sommes une industrie stratégique et les objectifs de neutralité carbone en 2050 ne pourront être atteints si la filière ne peut pas répondre présente. Devant une catastrophe aussi importante, nous devons tous travailler dans la même direction. Ce n’est pas encore le cas et pour l’heure l’aide de l’État n’est pas au rendez-vous. L’État doit donner à notre filière les moyens d’atteindre une compétitivité face aux produits venus de l’étranger, en conduisant une politique de soutien, d’investissement, et de recherche et développement, au service de l’amélioration de la productivité. Sans cela, l’importation de produits ligneux va se poursuivre et nous serons contraints d’exporter notre matière première. Quand on possède une ressource nationale aussi importante, c’est une aberration de délocaliser la production de la valeur ajoutée.

Avec la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19, la France a été confinée de façon un peu plus forte que certains autres pays. L’industrie française fut à l’arrêt plus longtemps et doit désormais pouvoir répondre présente pour relancer l’activité économique. À terme, c’est la richesse qu’elle dégage qui permettra de rembourser l’argent mobilisé pendant cette période. Ce n’est pas l’importation qui paiera tout ça. Si nous devons produire en France, avec nos coûts environnementaux et sociaux, il faudra peut-être que le Français accepte de payer un peu plus cher. Mais il ne faut pas perdre de vue que pour y parvenir, nous devons être compétitifs. Notre responsabilité est de réussir à vendre une production française dans un environnement de concurrence, et l’État doit nous aider à ce niveau. S’il veut pouvoir relocaliser une partie des activi- tés, il faudra baisser les impôts de production des industries «vertes».


L.B.I. - Et pour les entreprises, quels seront les facteurs clés de succès à moyen terme ?



P. S. : Nous sommes tous optimistes pour les trois prochains mois. Un chef d’entreprise est toujours optimiste. Nous sommes passés d’une crise sanitaire à une crise économique. Mais va-t-on connaître une crise financière ? Nous sommes optimistes car nous constatons que la Banque centrale européenne et l’Europe ont fait des progrès absolument incroyables avec un début de mutualisation, non pas des dettes, mais des projets à l’échelle européenne pour nous faire évoluer vers une économie ciblée de progrès. Beaucoup de bonnes décisions ont été prises.

La crise sanitaire déclenchée par l’épidémie de Covid-19 a sûrement été maitrisée en France, il s’agit déjà d’une très bonne nouvelle, mais avec un PNB qui risque d’être inférieur de 11% en 2020, difficile d’envisager que ce soit sans conséquence. Si je ne vois pas de difficultés majeures dans les trois prochains mois pour les industries de transformation du résineux, la situation est plus complexe pour les feuillus, à l’image des produits en frêne pour lesquels plusieurs pays ont interdit la vente de certaines épaisseurs. Les fabricants de tonneaux ont quant à eux réalisé une campagne de vente correcte, avec un résultat évalué à -10% car les commandes avaient été passées avant la crise déclenchée par l’épidémie de Covid-19. La situation prend néanmoins une mauvaise tournure en Europe pour ce secteur. L’État a prévu de financer la distillation de vin pour juguler la surproduction. Si la consommation baisse, la part de marché du bois de France sera l’un des enjeux stratégiques pour la filière. En 2009, elle a été sauvée parce que le bois de France a réussi à prendre des parts de marché sur l’importation. Le marché s’était réduit mais les volumes de bois français avaient nettement moins baissés, voire s’étaient même stabilisés. Il y a un enjeu énorme de solidarité nationale pour que la part de marché du bois français progresse à son maximum. Si nous sommes collec- tivement solidaires autour de cette perspective, nous effacerons une bonne partie des problèmes économiques de nombreuses entreprises. Je ne parle pas du «made in France», mais du bois issu de la ressource nationale et transformé en France. C’est le levier le plus rapide, le plus puis- sant, et le moins coûteux, pour que tout le monde s’en sorte. Toutes les entreprises de l’aval ont bénéficié de la solidarité nationale, il serait quand même légitime qu’elle s’exerce également vis- à-vis de la production en amont.

Voir notre édition verte, Le Bois International, Scierie, exploitation forestière N°18…

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