Comment maîtriser les flux ? C’est une question que la filière bois se pose depuis un moment, les pénuries de chêne ou de bois d’œuvre résineux ayant mis en danger des scieries et des entreprises artisanales de la construction. Or, au côté des flux physiques, il y a les flux financiers, tout aussi cruciaux. L’inflation, l’endettement des entreprises susceptibles de conduire à des défaillances de petites entreprises, dans le secteur de la construction notamment, mettent en danger le fonctionnement de la filière et sa diversité (elle est constituée de nombreuses TPE et PME dans les zones rurales). Ces défaillances peuvent être analysées en termes de dégâts collatéraux de la guerre de maîtrise des flux, qui concerne autant les flux physiques (de marchandises) que virtuels (monétaires)...
Nul ne pourra nier que la guerre en Ukraine a deux effets (pouvant toutefois être pris comme base de réflexion) :
1/ elle rompt la nouvelle route de la soie et affecte la possibilité d’un commerce continental Chine/Europe,
2/ elle déstabilise par les sanctions des entreprises européennes, que ce soit des grands groupes ou des petites entreprises.
Concernant cette déstabilisation, les syndicats professionnels n’ont cessé de dénoncer les difficultés des entrepreneurs ces derniers temps, liées à la hausse du prix des énergies, aux difficultés d’approvisionnement, lesquelles ont déjà été le chemin de croix des sociétés durant l’état d’urgence sanitaire. La guerre a pris le relais.
Des grands groupes ont carrément refusé de se mettre en danger en abandonnant les implantations russes. Certaines PME n’ont d’autres choix, elles, que toujours plus d’endettement ; certaines TPE doivent fermer. Les cessations volontaires d’activité ont augmenté de 36% au 1er trimestre 2022 par rapport à 2021, indique dans un communiqué daté du 12 avril le Syndicat des indépendants et des TPE, qui met en exergue le profond malaise des 6 millions de professionnels indépendants et dirigeants de TPE. Quasiment un chef d'entreprise artisanale sur deux considère la hausse des prix de l'énergie et du carburant comme une préoccupation majeure, d'après un sondage réalisé entre le 1er et le 25 mars dernier par la Confédération des petites et moyennes entreprises. 86% des TPE-PME déplorent d'ores et déjà une baisse de leurs marges, 22% disent s’être résolus à augmenter leurs prix de vente. 37% des dirigeants disent aller jusqu’à « remettre en cause leur modèle économique » à cause de la forte inflation, 18% s'interrogent sur le maintien de leur activité dans une telle situation.
Dans ce paysage, la forêt et le secteur du sciage sont donc dans une situation particulière, avec une arme (de résistance) dans les mains, si l’on ose dire : la maîtrise des flux de bois. On se souvient que l’industrie européenne s’est plainte de l’exportation de sciages aux États-Unis en 2020 et 2021.
Le Forum bois construction, et notamment sa séance inaugurale à Épinal le 6 avril, a éclairé d’une lumière bienvenue des actions qui sont conduites par des architectes ou des bureaux d’études, laissant entrevoir une coopération entre acteurs de la filière.
On pourra rappeler deux d’entre elles : le travail réalisé par le mouvement de la frugalité heureuse d’annuaire et de cartographie des matériaux disponibles par régions, dont le bois bien sûr, qui permet aux architectes de privilégier les circuits et entreprises locaux ; le travail du bureau d’études bois Teckicea, qui oriente les choix techniques structuraux non seulement en fonction de la disponibilité en bois local mais de la distance de celui-ci au chantier. Ces deux exemples (parmi nombre d’autres) montrent toute l’importance des professionnels dans les choix de société. Le Forum bois construction a montré aussi d’une manière générale toute l’importance des orientations techniques, et donc des orientations de la recherche et développement dans ces choix.
Loin des décideurs européens qui n’ont de cesse de participer à la guerre mondiale des flux, ces gens de terrain œuvrent à la destinée du pays, par la maîtrise des flux physiques de bois. Reste que la dette, la non solvabilité des fonds de retraite (motifs de fuite en avant et de guerre) sont immaîtrisables dans l’état actuel des pouvoirs, et que la souveraineté sur les flux monétaires doit encore être recouvrée… Va-t-on vers une filière unie et tournée vers les territoires ?