Recevoir la newsletter

Magazine

« Produits d’édition du génome » en forêt ? Un projet de règlement sur les nouvelles techniques génomiques dans l’UE

arbres_OGM_big.jpg

<p>Si le nouveau règlement proposé par la commission était approuvé au niveau du Parlement et du Conseil européens, la mise sur le marché d’arbres obtenus par mutagénèse artificielle par NTG, qualifiés de «produits d’édition du génome », serait simplement soumise à déclaration.</p>

Crédit photo Living Carbon

La Commission européenne souhaite voir se développer les nouvelles techniques génomiques (NTG) [1] en agriculture et en foresterie, et a produit le 5 juillet 2023 un nouveau règlement [2] sur celles-ci qui a été soumis pour examen au Parlement et au Conseil européens. Son communiqué publié le même jour, intitulé « Pacte vert pour l'Europe : une utilisation plus durable des ressources naturelles végétales et des sols », affirme : « Les nouvelles technologies peuvent contribuer à stimuler la résilience de l'agriculture comme des terres forestières. […] La proposition de règlement concernant la production et la commercialisation de matériels de reproduction des végétaux et de matériels forestiers de reproduction accroîtra la diversité et la qualité des semences, des boutures et des autres matériels de reproduction des végétaux (MRV). […] La proposition permettra de réduire les formalités administratives et d'accroître l'efficience et l'efficacité des systèmes d'enregistrement et de certification. […] L'amélioration génétique des arbres permet d'accélérer l'adaptation des forêts au changement climatique, et de garantir ainsi leur productivité continue à l'avenir ». Le message est clairement en faveur du déploiement d’arbres génétiquement modifiés.

CESELesdiffErentestechniquesdesElection.jpg
<p>Schéma récapitulatif des techniques de sélection. L’appellation Nouvelles techniques génomiques (NTG) regroupe des techniques de mutagénèse et de transgénèse (utilisant essentiellement les « ciseaux moléculaires »). Cette appellation englobe ainsi les OGM.</p>
Crédit photo : CESE

Les NTG représentent une nouvelle étape ‒ ayant débuté en 2001 et s’étant accélérée depuis la mise au point des « ciseaux moléculaires » ‒ dans les techniques génomiques, désormais axées sur la mutagenèse et la transgenèse de précision. Jusqu’à leur déploiement, les biotechnologies transformaient (avec des techniques lourdes) les plantes par transgenèse (avec transgression de la barrière des espèces). On parlait d’OGM. Avec les NTG, elles les modifient rapidement, par mutagenèse ou par transgenèse… et le texte de la commission suggère qu’on ne parlera plus d’OGM ! Au motif que la mutagenèse par NTG est indétectable (les produits mutés artificiellement ne se distingueraient pas de plantes qui auraient muté naturellement), une dérégulation des produits issus de NTG est prônée en Europe. D’ores et déjà, des arbres issus de mutagenèse artificielle par NTG sont fabriqués et testés.

OGM et plantes issues de NTG

Il y a longtemps que des arbres OGM existent ‒ principalement eucalyptus, peuplier et pin ‒ à l’essai dans de très nombreux laboratoires du monde, notamment aux États-Unis, mais aussi en plein champ dans nombre de pays. Ils sont le fruit de la transformation transgénique, qui a été réalisée pour la première fois sur des plantes en 1983, et s’est développé autour de trois méthodes lourdes : bombardement par canon à particules, modification de la perméabilité des membranes cellulaires par des appareils d’électroporation, transfert bactérien ‒ la plus utilisée. C’est en 1996 que commença réellement la mise en culture et la commercialisation des plantes OGM en agriculture, après que de très nombreuses expérimentations en champ avaient été conduites entre 1984 et 1995. En 2019, 190 Mha étaient cultivés de par le monde, principalement aux États-Unis, au Brésil, en Argentine, au Canada et en Inde.

SWETREE.jpg
<p>Les plante issues de mutagénèse par NTG sont, au dire des chercheurs, impossibles à distinguer des plantes obtenues par mutagénèse naturelle ou par mutagénèse « traditionnelle » (par soumission à des stress). C’est ce qui motive la nouvelle réglementation proposée par la Commission européenne.</p>
Crédit photo : Swetree

Dans l’Union européenne (UE), les OGM sont soumis à la directive 2001/18/CE. À ce jour, une centaine de plantes génétiquement modifiées par transgenèse sont autorisées à l’importation par la Commission européenne : maïs, soja, colza, coton et betterave. Ces autorisations, valables dix ans, n’en permettent pas la culture mais seulement leur utilisation comme denrées alimentaires et aliments pour animaux (maïs, soja, colza) ou comme agrocarburant (colza, soja). En matière de culture d’OGM, la directive 2015/412 autorise un État membre à prendre « des mesures restreignant ou interdisant, sur tout ou partie de son territoire, la culture d’un OGM ou d’un groupe d’OGM » à condition que « ces mesures soient conformes au droit de l’Union, qu’elles soient motivées, proportionnées et non discriminatoires et qu’en outre elles soient fondées sur des motifs sérieux tels que ceux liés : à des objectifs de politique environnementale ; à l’aménagement du territoire, à l’affectation des sols ; aux incidences socio-économiques ; à la volonté d’éviter la présence d’OGM dans d’autres produits ; à des objectifs de politique agricole ; à l’ordre public, ce dernier point devant être évoqué conjointement avec un autre motif ». C’est ainsi que, par principe de précaution après que les populations ont pris conscience de risques associés, la plupart des pays européens (dont la dizaine qui les avait d’abord autorisés) ont interdit les cultures d’OGM, à l’exception de l’Espagne et du Portugal, où la seule culture OGM existante est celle du maïs transgénique MON 810 [3].

La situation pourrait donc changer, selon le devenir du nouveau règlement de la commission européenne, qui vise à entériner juridiquement la nouvelle ère qui s’est ouverte pour les biotechnologies, avec celle des « ciseaux moléculaires », cet outil permettant plus de précision et de rapidité dans la modification de l’ADN (avec d’autres outils baptisés ZFN, TALEN ou ODM, plus onéreux). Cette technique Crispr [4] désormais la plus utilisée pour les transformations génétiques, associe un ARN guide à une protéine (de type Cas, au départ la Cas 9) et permet de cliver l’ADN à un endroit très déterminé par une coupure double brin, provoquant une modification du gène avec beaucoup de précision. Un champ des possibles s’est ouvert pour les laboratoires et les entreprises biotechnologiques spécialisées dans la modification des plantes. Celle-ci est réalisable à une vitesse sans précédent, avec le concours des calculateurs géants. À noter que les NTG se développent également largement dans le monde animal et en médecine…

La nouvelle mutation artificielle par NTG est présentée comme un outil extrêmement plus puissant que ceux utilisés jusque-là pour la mutation (techniques de mutagenèse aléatoire ayant vu le jour dès les années 1940 utilisant des agents chimiques mutagènes (ex. la colchicine, le méthylsulfonate d’éthyle) ou des agents physiques (rayonnements UV, chaleur)).

 « Les NTG consistent à modifier de façon ciblée l’information génétique d’un organisme par ajout, suppression ou échanges de nucléotides en un site déterminé de la séquence du génome. En opérant de façon ciblée, elles se distinguent des techniques de sélection classique connues depuis le néolithique (sélections et croisements) et des techniques de mutagenèse aléatoire (pratiquées depuis un siècle) », résume le Conseil économique, social et environnemental (CESE) [5], qui a été saisi en amont de la proposition de réglementation de la Commission européenne encadrant l’usage des NTG pour les plantes cultivées ‒ au même titre que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation et de l’environnement (Anses), le Comité national d’éthique et l’Académie des technologies ‒ afin d’étayer la position française sur le futur texte.

CarteCESE.jpg
<p>État de la réglementation concernant les plantes issues de l'édition du génome. En vert, pays où les plantes éditées sans ADN étranger à l’espèce ne sont pas réglementées comme des OGM ou font l’objet d’une décision au cas par cas ; en jaune, pays dont la position n’est pas encore arrêtée ; en rouge, pays ayant déclenché une réévaluation de la réglementation OGM en vigueur (cas de l’UE) ou pays où elles sont réglementées en tant qu’OGM (cas de la Nouvelle-Zélande).</p>
Crédit photo : CESE

Les plantes dont l’ADN a muté par les NTG [6] sont impossibles à distinguer de plantes qui auraient muté naturellement, expliquent les chercheurs. Si les NTG peuvent aussi produire des organismes transgènes (qualifiés d’OGM), la communication afférente à ces nouvelles techniques insiste uniquement sur ces plantes à l’ADN muté artificiellement. Le projet de règlement sur les NTG de la commission européenne publié le 5 juillet 2023 propose « d’établir deux catégories de plantes obtenues par NTG : des plantes NTG comparables aux plantes poussant naturellement ou obtenues par des procédés traditionnels, et des plantes NTG présentant des modifications plus complexes »« Ces deux catégories devront répondre à des exigences différentes pour pouvoir être mises sur le marché, en considération de leurs caractéristiques et profils de risque différents ; les plantes de la première catégorie feront l'objet d'une déclaration. Les plantes de la deuxième catégorie seront soumises à la procédure plus étendue prévue par la directive sur les organismes génétiquement modifiés », précise la Commission, qui dit aussi vouloir « garantir la transparence de toutes les plantes NTG sur le marché de l'UE (par exemple, par l'étiquetage des semences) ». On pourra remarquer que l’appellation d’OGM s’efface devant celle de « plantes NTG présentant des modifications plus complexes »… La technique s’efface derrière le produit, comme il sera vu plus avant dans cet article… On pourra aussi d’ores et déjà s’interroger : alors que le secret des affaires semble prévaloir ‒ y compris dans le domaine de la santé ‒ comment obtenir une réelle garantie de transparence ?

Changement dans l’évaluation des risques ?

On connaît les risques afférents aux OGM, qui ont fait l’objet d’un débat public ayant abouti à la législation européenne les concernant. Or l’arrêt de la Cour de justice européenne (CJUE) du 25 juillet 2018 avait indiqué que non seulement les produits des techniques génomiques de la première génération (dits OGM), mais aussi ceux de la seconde génération (dits NTG), doivent être soumis à la directive 2001/18/CE [7]. Le projet de règlement de la Commission européenne remet en cause cet arrêt.

La nouvelle proposition de règlement s’accompagne d’un lobbying appuyé, dont a fait partie le plaidoyer en faveur du retrait des entraves législatives au déploiement des OGM et des NTG produit par l’Académie d’agriculture de France (AAF), sous la plume de Catherine Regnault-Roger. Son livre « Enjeux biotechnologiques - Des OGM à l’édition du génome » est un appel fervent à une réglementation en France qui soit à l’image de celles appliquées dans d’autres pays ayant autorisé la culture de plantes OGM et maintenant celle de plantes issues des NTG. À savoir une réglementation dictant que les évaluations des risques des nouveaux produits soient basées sur leurs caractéristiques finales et non sur la technique d’obtention.

« Ces nouvelles techniques représentent une rupture fondamentale par rapport aux « anciens » OGM, dans la mesure où les modifications du génome sont beaucoup plus ciblées, plus sûres, plus précises, plus rapides. L’homme ne fait qu’accélérer le cours des choses. L’échelle de temps, comme le domaine des possibles, change » s’enthousiasme Catherine Regnault-Roger. « C’est une ère nouvelle qui s’annonce, non seulement dans le domaine de l’agriculture, mais également dans ceux de la santé, de l’énergie ou du développement durable ». « La distinction entre « naturel » et « artificiel » se justifie-t-elle ? », va-t-elle même jusqu’à écrire.

À ce stade, et pour évacuer ce point majeur, il faut souligner que les craintes ayant émergé vis-à-vis des OGM sont liées, outre à l’incertitude scientifique qui leur est afférente et au manque de visibilité sur les effets indésirables à long terme, à des considérations d’ordre éthique et notamment au fait que c’est dans l’appropriation des usages des techniques que réside le risque. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : attendre une conscience altruiste d’organismes privés commerciaux telles que les transnationales des semences et de l’édition génomique détenues par des fonds financiers paraît pour le moins hypothétique. Quant à en référer aux organismes régulateurs… Dans un rapport publié début mars 2023 [8], le Conseil scientifique de l’Anses (qui intervient notamment dans le traitement des demandes d’autorisation d’OGM et de pesticides) a décrit les mécanismes utilisés par l’industrie pour s’assurer que les avis publiés ne sont pas (trop) négatifs. « L’industrie peut influencer la littérature scientifique utilisée pour [...] le travail des experts ». L’éditeur en chef du Lancet faisait ce tableau peu engageant dans un éditorial qui a fait date en 2015 : « La science a pris un virage vers l’obscurité. L’endémicité des mauvais comportements en matière de recherche est alarmante ».

Jérôme Lerbourg, du Centre d’études et de prospective du ministère en charge de l’Agriculture, insiste sur ce qui a induit une remise sur le tapis de la législation : « La Cour de justice de l’Union européenne a confirmé, en 2018, que les organismes obtenus par NTG relèvent du champ d’application de la législation en vigueur depuis 1990 sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Mais, à la différence des OGM obtenus par transgenèse, ces nouvelles techniques n’introduisent pas forcément un gène étranger, rendant ces modifications non différentiables de celles obtenues par des méthodes de sélection variétale classiques ou par l’évolution naturelle. La non détectabilité des cultures ainsi modifiées rend alors difficiles l’application de la réglementation et le contrôle de leur non-introduction sur le marché européen, à l’heure où un nombre croissant de pays les autorise (en Amérique du Nord, en Amérique du Sud, Australie, Inde, Japon, etc.) ».

Ainsi, par exemple, le Canada parmi les plus laxistes ne se préoccupe pas de la méthode d’obtention de la plante (mutagenèse, transgenèse, NBT, croisement conventionnel, etc.), ce dont se félicite Catherine Regnault-Roger. Ce qui compte, ce sont les propriétés du produit fini obtenu qu’évalue au cas par cas l’Agence canadienne d’inspection des aliments (CFIA). L’Amérique du Sud a été qualifiée quant à elle de « terre d’élection » des plantes biotechnologiques : quatre pays se caractérisaient par plus de la moitié de leur surface des terres arables cultivée en plantes transgéniques (l’Uruguay, l’Argentine, le Paraguay et le Brésil) en 2021. Il n’est donc pas étonnant qu’ils aient été pionniers pour statuer sur les NTG. L’Argentine a adopté la première réglementation mondiale sur le statut des NTG en 2015. Elle a confié à la Commission nationale consultative de la biotechnologie agricole (CONABIA) l’examen des dossiers de demande d’autorisation qui se prononce au cas par cas en fonction des techniques employées, de la modification génétique opérée, et s’il y a présence de transgène dans le produit final. Quand une variété génétiquement éditée est exemptée de la réglementation OGM, elle est étiquetée comme les variétés conventionnelles sans mention spéciale. La Chine, sans statut réglementaire particulier pour les « produits d’édition du génome » rivalise avec les États-Unis pour les publications scientifiques consacrées au Crispr et les brevets pris sur les NTG. À l’automne 2021, des tomates génétiquement éditées ont été commercialisées au Japon, a noté Catherine Regnault-Roger.

Affiche.jpg
<p>Affiche d’une campagne contre la dissémination du châtaignier Darling 58 au Canada.</p>
Crédit photo : Cban

Les pays qui ont adopté les NTG (voir la carte ci-dessus) distinguent généralement trois types d’entre elles dans leur réglementation. Ces trois catégories d’édition du génome sont basées sur différentes options de réparation des brins d’ADN : celle nommée SDN-1 correspond à l’ajout ou la suppression de quelques lettres d’ADN résultant d’une réparation imparfaite des brins ; la SDN-2 désigne l’ajout, la suppression ou la modification de quelques lettres d’ADN à la suite d’une réparation dirigée ; la SDN-3 relève du même mécanisme que SDN-2 mais sur une séquence d’ADN plus longue correspondant à l’ajout d’un gène. La SDN3 peut apporter de l’ADN étranger et relève ainsi d’un dossier de type OGM dans certains pays.

On voit bien combien la frontière est floue entre objectif de « modification génique » et d’« édition » du génome… Catherine Regnault-Roger cite Jennifer Doudna, co-prix Nobel de Chimie 2020 pour avoir mis au point les ciseaux Crispr-Cas9, qui a souligné que des OGM aux produits issus des NTG, on était passé des « marteaux de forgeron aux scalpels moléculaires »… ce qui n’indique pas que le type de produits visés ait changé. Le panel s’en est élargi seulement. Mutagénèse et transgenèse sont toutes deux rendues possibles beaucoup plus rapidement et facilement.

Débat

Pour l’heure, la proposition de règlement de la commission fait débat. Comme le résume Jérôme Lerbourg : « Ces techniques apportent des modifications prédéterminées (ajout, suppression, modification) sur des séquences d’ADN, à des endroits ciblés du génome. Pour autant, des altérations supplémentaires non voulues se produisent lors de la phase de réparation des brins d’ADN. Même si ces mutations spontanées s’observent aussi dans le processus naturel d’évolution des organismes vivants, des incertitudes subsistent quant à leur propagation dans l’environnement et leurs dommages potentiels ».

Dans son avis adopté le 24 mai, le CESE recommande de systématiser l’évaluation (a priori et a posteriori), la traçabilité et l’étiquetage des plantes concernées (ex. mention textuelle accompagnée d’un QR code pour plus d’informations sur la technique, le trait modifié, etc.). De plus, le Conseil encourage les autorités françaises à œuvrer pour imposer ces mêmes obligations aux importations dans l’Union européenne. Ces préconisations, a noté le CEP, se distinguent de celles formulées en début d’année par l’Académie des technologies, qui proposait de conditionner et moduler les évaluations, et les obligations de traçabilité et d’étiquetage, en fonction de l’ampleur de la modification génétique et des bénéfices économiques et agroécologiques pouvant en résulter…

Pour l’association les amis de la Terre, les impacts directs et indirects de l'introduction de ces « nouveaux OGM » dans la nature n'ont pas jusqu'à maintenant été évalués : aucune recherche n'a été menée sur la manière dont les nouveaux OGM interagissent avec les abeilles et autres pollinisateurs, ni sur la manière dont les cultures d'OGM peuvent accélérer la perte de biodiversité. L’ONG déplore que la proposition de règlement de la Commission supprime les obligations en matière d'étiquetage, les contrôles de sécurité et tout type de processus de responsabilité pour les nouveaux OGM, à savoir les plantes issues de mutagenèse par NTG : les consommateurs, les agriculteurs et les transformateurs de produits alimentaires ne sauront plus si les plantes et les aliments qu’ils cultivent, achètent et consomment contiennent ou non de nouveaux OGM…

Darling58.jpg
<p>Les États-Unis abritent le plus grand nombre de recherches et d'essais sur le terrain d'arbres génétiquement modifiés dans le monde. En 2020, des chercheurs universitaires ont demandé l'autorisation de mise sur le marché d'un châtaignier d'Amérique génétiquement modifié. La décision est en attente.</p>
Crédit photo : ESF

De leur côté les partisans de la dérégulation mettent en avant la perte de compétitivité à combler de la recherche et de l’économie par rapport aux pays autorisant les plantes issues de NTG, et des bénéfices à attendre en termes d’environnement. Sur ce dernier point, il faut se souvenir que dès fin 2014, aux États-Unis, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) a reconnu qu’un certain nombre d’insectes avaient développé des résistances aux insecticides produits par des plantes génétiquement modifiées. Les organismes génétiquement modifiés déclenchent autrement dit des mutations en chaîne… Bien qu’on parle désormais avec les NTG d’édition du génome et non plus de modification du génome, ces nouvelles techniques contiennent toutes les possibilités…

Pour l’heure, après qu’une plainte a été déposée contre la Commission européenne par deux ONG en février 2023, la Médiatrice européenne a ouvert une enquête et a demandé à la Commission de répondre à plusieurs préoccupations soulevées, portant sur la représentativité des parties prenantes dans les différentes consultations organisées par la Commission, sur la prise en compte des différents avis scientifiques, y compris sur le sujet des risques environnementaux des nouveaux OGM, et sur la transparence.

Le dernier arbre à la mode…

Un sylviculteur pourrait-il se voir demain transformé en « cultivateur de produits d’édition du génome » ? Avec toutes les conséquences que cela impliquerait, en termes philosophiques et environnementaux au plan général, mais aussi en termes socio-économiques pour lui-même. Car qui dit « édition » dit brevets et royalties, qui dit « produits d’édition » dit remplacement d’arbres « naturels » (voire issus de la sélection traditionnelle de long terme) devenus obsolètes… le tout ayant une bonne chance de se solder par une perte de souveraineté. Un tel scénario remettrait en cause beaucoup des principes et des savoirs de la sylviculture actuelle. Le gestionnaire forestier serait immanquablement soumis au marketing des éditeurs de produits du génome, et pour peu qu’il s’y laisse prendre ‒ à la faveur de discours catastrophistes des médias par exemple ‒, serait-il alors encore un gestionnaire forestier ou, à l’image de ces agriculteurs états-uniens pris à la gorge par leur fournisseur de graines brevetées alors même que celles-ci remplissent de moins en moins bien leurs promesses, un sous-traitant d’une société de biotechnologie ? « Les inquiétudes liées aux OGM concernent des plantes qui pourraient transmettre aux autres de nouvelles capacités, comme la résistance aux herbicides. Mais ce que nous faisons est différent, dans le sens où nous donnons à des arbres une capacité que d’autres plantes ont déjà en utilisant leurs gènes. Les peupliers avec lesquels nous travaillons ne produisent pas de pollen. Nous ne créons pas une situation où le pollen serait soufflé de ces arbres sur d’autres arbres qui le propageraient », s’est défendu Patrick Meller, directeur de la technologie de Living Carbon, une start-up californienne qui modifie génétiquement les arbres afin qu’ils poussent plus vite et stockent davantage de carbone. Il a reconnu ce faisant que la stérilisation est une possibilité de la palette des NYG, induisant (appliquée à d’autres arbres que les peupliers) la disparition de la potentialité de régénération naturelle…

Verra-t-on un jour une course au dernier arbre à la mode issu des techniques d’édition du génome ?

Ces questions méritent d’être posées au moment où le projet de règlement sur les plantes issues de « nouvelles techniques génomiques » (NTG) de la Commission européenne du 5 juillet 2023 rend un tel scénario possible pour le futur, et que les parlementaires européens, censés représenter les populations, vont plancher sur le sujet.

À un moment aussi où les chercheurs en biotechnologie végétale prennent pleinement possession de cet outil d’apprenti sorcier que sont « les ciseaux moléculaires ».

« Et si l’on modifiait les gènes des arbres pour produire un papier plus propre ? », titrait un article du Monde récemment. « Grâce aux ciseaux moléculaires Crispr, une équipe américaine s’est attaquée au génome de peupliers pour faire baisser la teneur en lignine. Une promesse de gains phénoménaux pour la filière papetière et pour l’environnement. » Le propos un tant soit peu grandiloquent s’appuyait sur un article publié dans la revue Science le jeudi 13 juillet 2023, et le commentaire d’un des auteurs, le Français Rodolphe Barrangou, professeur à l’Université d’État de Caroline du Nord. Il promet d’ici 13 à 25 ans des arbres modifiés par les NTG (avec les ciseaux moléculaires Crispr) qui produiront une lignine moins résistante et en moindre quantité et avec une quantité de glucides augmentée. Le rôle de 21 gènes dans la production de cette lignine ayant été mis en évidence, les quelque 70 000 combinaisons de mutations possibles ont été simulées numériquement. 347 combinaisons sont sorties, dont sept ont été sélectionnées (permettant aux dires des chercheurs une réduction de 35 % de la lignine par une modification simultanée de quatre à six gènes). Les génomes ont été « édités » par Crispr-Cas 9 puis des plants produits : 147 lignées ont été plantées, qui vont être observées.

« Les deux essences d’arbres destinés à la production de bois qui intéressent le plus les promoteurs des biotechnologies sont l’eucalyptus et le peuplier. Et les modifications les plus prisées sont celles qui permettent d’accélérer la croissance des arbres ou de réduire leur taux de lignine. Ces arbres, considérés comme de la biomasse pure, sont ensuite transformés en pâtes à papier ou en agrocarburant, principalement », rappelle le philosophe et rédacteur en chef d’Inf’ogm Christophe Noisette. Le premier eucalyptus transgénique autorisé au Brésil en avril 2015, créé par la filiale FuturaGene du groupe Suzano a d’ailleurs été doté d’un transgène qui permet de synthétiser l’enzyme endoglucanase qui induit un assouplissement des parois des cellules végétales, permettant ainsi, selon FuturaGene, de produire 20 % de plus de bois que les variétés conventionnelles. « Les cultures d’arbres génétiquement modifiées (GM) ont aussi des risques spécifiques. Créer une variété à croissance rapide, par exemple, va nécessairement induire une plus grande consommation d’eau dans un contexte de sécheresse accrue. La contamination des eucalyptus non GM par des variétés GM peut également impacter la production de miel. Par ailleurs, aucun test de toxicité ou d’allergénicité sur le pollen de cet eucalyptus transgénique n’a été conduit », note ainsi Christophe Noisette. Rappelons que FuturaGene a annoncé avoir reçu le 3 mars 2023 sa septième autorisation pour un eucalyptus GM, résistant aux insectes [9].

Si les arbres de monoculture sont en toute logique ciblés davantage pour les modifications génétiques, aux États-Unis, c’est toutefois un châtaignier américain génétiquement modifié baptisé « Darling 58 » [10] qui a été pressenti pour être le premier arbre forestier GM planté dans la nature sauvage de l’Amérique du Nord. Les chercheurs ont génétiquement modifié l’arbre pour tolérer le mildiou Cryphonectria parasitica qui a décimé les populations de châtaigniers américains au Canada et aux États-Unis dans les années 1900. Cet arbre GM est conçu avec un gène du blé, clé pour créer le caractère tolérant au mildiou, ainsi que du matériel génétique de quatre autres espèces : une plante apparentée à la moutarde, deux bactéries différentes et un virus végétal. Le dossier est toujours en cours d’examen réglementaire fédéral par l’EPA, l’USDA-APHIS et la FDA.

Certification et OGM

Le label FSC interdit pour l’heure les OGM, mais sous la pression de certaines entreprises papetières, comme la brésilienne Suzano, une réflexion a été engagée. « En 2022, le Forest Stewardship Council (FSC), l’un des plus grands certificateurs mondiaux de « bois récolté de manière durable », a ouvert la porte aux OGM en publiant un document sur « un processus d’apprentissage » en lien avec les OGM. Un an plus tard, en mars 2023, le FSC semble revenir sur ce processus », soulignait Christophe Noisette dans la revue de veille citoyenne Inf’ogm en avril 2023. La société civile internationale et des membres du FSC ont dénoncé un premier pas vers l’acceptation des OGM et le 31 mars 2023, le Conseil d’administration du FSC a annoncé : « Après un examen planifié du processus d’apprentissage sur le génie génétique lors de sa réunion en mars 2023, le Conseil d’administration (CA) du FSC a décidé de mettre fin au processus d’apprentissage ». Le CA a estimé que ce processus décrié risque de diviser les membres du FSC et peut porter préjudice à la mission et à la réputation de ce label.

La question des OGM n’est pas pour autant totalement enterrée par FSC. Le CA précise que « à l’exception des analyses documentaires, des études théoriques et des recherches autorisées par la politique d’association actuelle, aucune recherche sur les arbres génétiquement modifiés ne serait entreprise ou demandée par le FSC sans l’engagement et l’accord d’un grand nombre de ses membres ». Le FSC souhaite donc rester « au courant des derniers développements en matière de science, de technologie et de connaissances qui améliorent la gestion forestière responsable, en répondant aux valeurs sociales, économiques et environnementales à travers de multiples voies ». Le CA a prévu de rediscuter de ce point.

En Europe, de nombreuses expérimentations ont été conduites par des chercheurs, notamment sur des peupliers transgéniques modifiés pour avoir une croissance accélérée ou pour leur tolérance aux stress abiotiques et biotiques (principalement stress hydrique). Avant d’arrêter ce programme, l’Inra d’Orléans a œuvré à la culture en plein champ de peupliers à la quantité et la qualité de lignine optimisées pour les processus papetiers. Évidemment, les bénéfices vantés des arbres GM sont alléchants pour des producteurs de bois d’œuvre, et il est certain que les chercheurs reprendront activement leurs activités si la réglementation européenne change, et que les procédures d’autorisation pour les plantes issues de NTG s’assouplissent. Pour les forestiers que des arbres issus de NTG intéresseraient, il resterait à savoir réellement quelle eau du bain ils recevraient avec le bébé…

[1] En anglais, « new genomic techniques » (NTG) ou « new breeding techniques » (NBT).

[2] https://food.ec.europa.eu/system/files/2023-07/gmo_biotech_NTG_proposal.pdf

[3] Pratiquée sur 111 883 ha en 2019. En juin 2019, la transformation MON 810 est présente dans 150 variétés sur les 5 479 variétés de maïs répertoriées dans le Catalogue officiel européen des variétés de plantes cultivées.

[4] Crispr signifie « Clustered regularly interspaced short palindromic repeats » ou en français « Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées », et désigne des familles de séquences répétées dans l'ADN, liées au système immunitaire adaptatif. La technique d'édition de génome Crispr-Cas9 a été découverte par l'équipe de la chercheuse française Emmanuelle Charpentier aidée par la professeure américaine Jennifer Doudna, avant d’être développée par de nombreux chercheurs. La protéine Cas9 associée à Crispr a la capacité de couper l'ADN au niveau de séquences spécifiques, ce qui en a fait un outil de biologie moléculaire utilisé en génie génétique pour modifier facilement et rapidement le génome des cellules animales et végétales. Cet outil a été baptisé « ciseaux moléculaires ».

[5] https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2023/2023_14_ntg.pdf

[6] La liste des nouvelles techniques NTG établie par le Joint Research Centre (JRC) de la Commission européenne comprend : Oligonucleotide Directed Mutagenesis (ODM), Méganucléases (MN), Zinc Finger Nuclease Technology (ZFN), Greffe, Agro-infiltration, RNA-dependent DNA methylation (RdDM), Reverse Breeding, Synthetic Genomics,Transcription activator-like effector nuclease (TALEN), Clustered Regulatory Interspaced Short Palindromic Repeats (CRISPR).

[7] Relativement aux NTG, la Cour a précisé le statut de la mutagenèse aléatoire in vitro au regard de la directive OGM en février 2023 : « La Cour considère, en effet, que la dissémination dans l’environnement ou la mise sur le marché, sans avoir mené à bien une procédure d’évaluation des risques, d’organismes obtenus au moyen d’une technique/méthode de mutagenèse présentant des caractéristiques distinctes de celles d’une technique/méthode de mutagenèse traditionnellement utilisée pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps pourrait avoir des effets négatifs sur la santé humaine et l’environnement, en affectant plusieurs États membres de façon parfois irréversible. Cela pourrait être le cas alors même que ces caractéristiques ne tiennent pas aux modalités de modification, par l’agent mutagène, du matériel génétique de l’organisme concerné ». https://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2023-02/cp230022fr.pdf

[8] www.anses.fr/fr/system/files/AVIS-et-RAPPORT-CS-GT-Credibilite-de-lexpertise.pdf

[9] Voir l’article « Suzano pépinières de 35M de plants d’eucalyptus y compris OGM » dans « les Brèves nouvelles » dans La Forêt Privée n° 392/2023.

[10] https://acf.org/darling-58/

Sylviculture

Forêt

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15