Un peu de dendrométrie et de vitesses de croissance diverses
Les tables de production utilisent justement cette différentiation de croissance pour estimer des niveaux de fertilité. La fameuse loi – empirique mais bien vérifiée - de Eichhorn énonce que le volume total (somme de ce qu’il y a sur pied et ce qui a été enlevé par éclaircie et mortalité) est proportionnel à la hauteur dominante du peuplement au moment de sa mesure et cela quel que soit son âge [2]. Pour chaque hauteur dominante – qui, pour des fertilités croissantes, est atteinte à des âges de plus en plus jeunes – existe donc une relation qui lie deux données dendrométriques. Cette relation est semblable au moteur de la croissance : on mesure une hauteur, on a une (très bonne) idée de la production en volume.
Direction la Réunion
Prenons le Cryptoméria du Japon de l’île de la Réunion comme exemple. Nous y avions constaté que, suivant bien sûr la fertilité des sols et la pluviométrie, sa croissance va de 11 à 50 m3/ha/an ! Nous avons utilisé les tables de production japonaises pour calculer la relation qui lie la hauteur dominante (Ho) et le volume total produit (Vtot), soit : Vtot = - 89,03 + 49,1743 * (Ho - 3). Alors que l’ordre de grandeur des accroissements au Japon est de 10 à 15 m3/ha/an, ils sont de 30 m3/ha/an à la Réunion, il a fallu vérifier que pour une hauteur donnée, le volume total produit est bien le même. La loi de Eichhorn est bien valable donc la formule qui vient d’être donnée parfaitement utilisable.
Pour rester dans des essences plus connues, que sont les relations Vtot / Ho pour épicéa et douglas dans le Massif central puisque des tables de productions ont été construites pour cette zone. Ce qui s’illustre ainsi :
Une surprise ? L'épicéa pousse plus vite ? Oui, à hauteur égale il produit plus de bois que le douglas, question de forme. Non car il met très souvent bien plus de temps que le douglas pour atteindre cette hauteur…
Des simulateurs de sylvicultures
Ainsi, si nous mesurons la hauteur dominante d’un peuplement, nous connaissons le volume total produit ; avant la première éclaircie, il se répartit sur les arbres initiaux. Dont, en les estimant tous pareils – avancer exige quelques simplifications – on a le volume de chacun. D’un tarif de cubage, on extrait ses dimensions ce qui permet de calculer divers indices classiques.
Tout se calcule tout seul si, dans le tableau qui suit, on introduit les chiffres en vert une fois les formules – les « macros » en langage informatique – mises en place. Les chiffres en rouge sont là pour montrer le lien entre eux : 173 est le volume total en fonction de la hauteur dominante, le 13 de la colonne H0. Il est calculé par la formule 2,1414*(H0-3)^1,9066 illustrée par la courbe orange de la figure 1, nous avons choisi un exemple pour l’épicéa.
Pour monter ce tableau de façon réaliste, quelques éléments doivent servir de garde-fous : il ne faut pas ne pas « vider » l’hectare par des éclaircies trop fortes (cela est possible lors de l’enlèvement initial des cloisonnements avec, en plus une éclaircie, il faut corriger cet effet) et, fait corrélé, ne pas voir apparaître un accroissement sur le rayon farfelu (si on ne laisse qu’un arbre, il sera énorme !).
Deux indices utiles
1. Branchaison : c’est le ratio âge/hauteur ! Il est très utile pour juger du rendement d’une abatteuse-ébrancheuse.
2. Indice d'éclaircie : rapport du volume extrait en éclaircie pendant la révolution sur le volume total produit. Une sylviculture ne doit pas entraîner un rapport trop élevé : elle n'a pas pour but de ne fabriquer que des produits intermédiaires. Cet indice permet aussi de comparer des scénarios à sylvicultures très dynamiques avec certaines plus mesurées.
On fabrique ainsi différents modèles avec, dans l’ordre, des fertilités différentes, des densités initiales différentes et, si l’on utilise des intensités d’éclaircies choisies selon ses habitudes, il sera possible de les modifier pour les calquer selon les pratiques réellement observées. Soit ces modèles sont estimés valables pour l’ensemble d’une zone, soit ils sont ajustés pour être conformes à ce qui est mesuré sur le terrain. Chaque modèle est nommé.
Ils permettent d’illustrer ce qui a été dit dans la première partie de cet article : quand, par exemple, l’âge augmente de 20 ans, les résultats dimensionnels sont bien différenciés selon les fertilités :
Ce petit tableau correspond à des extraits de deux des modèles pour du douglas avec une densité initiale de 1 600 tiges/ha. L’indice de fertilité est, bien sûr, la hauteur dominante (H0). Ce système, certes un peu complexe, reflète bien mieux le futur des croissances, donc de la ressource, que le simple glissement uniforme des âges. Il veut montrer que les estimations de la ressource qui se contentent de faire avancer tous les peuplements de manière uniforme ne peuvent pas être correctes.
Un logiciel pour estimer la ressource globale
Un logiciel dédié (LAURE pour Logiciel d’Aide aux Utilisateurs de la Ressource, mis au point à l’ONF en 1998) contient tous les modèles, ils sont listés par leurs noms, celui donné en exemple étant Épicéa 2 HD pour les épicéas sur station de fertilité 2 plantés à haute densité (HD).
Pour chaque unité de gestion, il suffit d’entrer le nom du modèle qui convient, sa surface et la date de la prochaine phase à lancer. Pour toutes ces unités, il faut encore les années durant lesquelles est recherché le niveau des récoltes. Une unité de gestion ? Pour une même « essence-gestion », ce peut être toute ou partie de parcelle ou le regroupement de tous les peuplements qui ont les mêmes caractéristiques (fertilité, phase d’intervention à venir). L’exemple suivant veut juste illustrer ce qui est vu sur un écran pour un peuplement de 12,6 ha qui suit le modèle de notre exemple.
Conclusion
Le sujet étant passablement aride, nous n’avons pas voulu ici donner trop de détails d’un processus en fait assez complexe ni exposer les cas où a été utilisé cet outil. Le constat que l’âge n’était pas le bon indicateur pour estimer les croissances futures des peuplements nous a conduit à mettre au point des modèles desdites croissances, donc un outil d’estimation de la ressource qui intègre leurs différences de vitesse.
Il a des défauts dont le principal est qu’il ne s’adapte qu’à des essences qui disposent de tables de production et avec des peuplements équiennes et monospécifiques dont beaucoup voudraient s’écarter mais ce cas de figure reste très majoritaire. Ces nouvelles sylvicultures ne doivent pas oublier de quantifier leurs effets sur les dimensions de leurs produits pour en permettre une anticipation de leurs usages.
Pour en savoir plus
Bartoli M., 1996 – Guides de sylviculture pour l’épicéa et le douglas. ONF Midi-Pyrénées, 58 p.
Meerleer (de) P., 1997 – Guides de sylviculture pour le pin noir et le pin laricio. ONF Midi-Pyrénées.
Bartoli M., 1998 - L’exploitabilité d’une parcelle forestière : concept et outils pour une gestion intégrée et une estimation moderne de la ressource, Bulletin technique de l’ONF, n° 35, p. 39-47. Nota : le texte prévu et annoncé dans cet article [Bartoli M., Abgrall S., Des outils informatiques nouveaux pour l’estimation qualitative (exploitabilité et volume unitaire) de la disponibilité de la ressource forestière] n’est jamais paru.