L’état d’urgence sanitaire en lien avec le Covid-19 intervient alors que la filière forêt-bois subissait déjà une importante déstabilisation due à une pullulation du scolyte de l’épicéa (typographe). Ce petit coléoptère hôte du résineux – dont les populations sont habituellement limitées et ne mettent pas en danger les peuplements – a proliféré à cause notamment des deux étés de sécheresse 2018 et 2019 qui ont fragilisé les arbres. Marchés saturés pour cause d’afflux de bois scolytés, perspectives d’approvisionnement incertaines pour l’avenir : pour les entrepreneurs de la filière bois, tout particulièrement en Grand-Est et en Bourgogne Franche-Comté (BFC) où a sévi le plus le scolyte de l’épicéa, les soucis ne manquaient pas avant la mise en place de l’état d’urgence sanitaire en France.
Or, pour l’insecte, la trêve hivernale s’achève. Les premier envols ont été détectés en Grand-Est au début de la deuxième semaine de confinement. Idem en Bourgogne-Franche-Comté où les premiers repérages d’essaimages grâce au piégeages phéromonaux (mis en place dans le cadre du monitoring des populations de scolytes selon les plages altitudinales) ont été effectués dans la semaine du 16 au 22 mars, en plaine seulement. Rien de plus normal compte-tenu du climat. «La théorie s’est vérifiée selon laquelle des températures supérieures à 18 °C sur plus de trois jours sans gel, sans vent et sans pluie, provoquent la sortie d’hibernation des scolytes», remarque Mathieu Mirabel, responsable du pôle BFC du Département santé des forêts (DSF).
Cette première alerte est restée limitée, car les températures ont brusquement chuté fin mars (et il a neigé au dessus de 600 mètres). C’est au cours des deux mois à venir que la nouvelle phase de pullulation – attendue – pourra être réellement appréhendée, de même que les dégâts de la pullulation 2019 évalués dans toute leur ampleur. «Malgré la persistance d’une activité physiologique et de nombreux rougissements d’épicéas au cours de l'hiver 2019-2020 très doux, certains épicéas attaqués en 2019 ont pu ne pas encore rougir, surtout en altitude», note le spécialiste, au vu des relevés de son réseau d’observateurs, qui reste le plus possible actif. La situation est plus difficile encore à anticiper pour le sapin pectiné et les feuillus, hêtre et chêne. «Pour les sapins fragilisés par les sécheresses, c’est au moment du débourrement que se manifestent surtout les rougissements, qui sont dus à la colonisation par des parasites de faiblesse (moins virulents que le scolyte de l’épicéa). C’est ce que nous avons très bien pu observer au printemps 2019», précise Mathieu Mirabel. Les feuillus eux aussi manifestent leurs faiblesses au moment du débourrement. En Franche-Comté, le déficit hydrique a été moindre en 2019 qu’en 2018, et le responsable du DSF espère que cela se traduira par moins de mortalité. Toute son équipe d’observateurs reste au maximum sur le qui-vive, en cette période de restriction des déplacements. Mais Mathieu Mirabel note qu’il a moins de remontées d’informations de la part des propriétaires et gestionnaires durant cette période.
Le confinement et la limitation d’activité qu’il génère pourrait avoir un impact important sur la pullulation de scolytes de l’épicéa. En effet, la stratégie de lutte consiste en un repérage précoce des nouveaux foyers et en un abattage et une évacuation des arbres atteints pour couper les insectes dans leur élan... avant qu’ils ne s’envolent vers d’autres arbres. «En outre, consécutivement à la succession de tempêtes hivernales, de nombreux chablis disséminés ont pu ne pas être encore exploités, ceux-ci constituant des sites de reproduction privilégiés pour le typographe», note mathieu Mirabel. Alors que toute l’activité forestière est entravée, les actions de lutte pourraient ne pas être effectuées au mieux si l’état d’urgence sanitaire se prolonge.
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