L’affirmation de la trentaine d'académiciens signataires est sans appel : « Aujourd’hui, les forêts françaises métropolitaines ne peuvent pas assurer leurs fonctions économiques, écologiques et sociales nécessaires à cette transition ». D’après la quarantaine d’académiens, « seulement la moitié des forêts fait l’objet d’une gestion que l’on peut qualifier de professionnelle. […] Le renouvellement est insuffisant et les arbres âgés s’accumulent. La filière industrielle, qui peut encore innover, ne valorise qu’en partie la ressource disponible et ne couvre pas les besoins du pays en produits issus du bois. Des bois de qualité partent à l’étranger et nous reviennent sous forme de produits transformés. La fonction de puits de carbone, insuffisamment assurée par la substitution du bois à d’autres matériaux ou sources d’énergie, repose trop fortement sur les peuplements forestiers, de plus en plus exposés aux aléas du changement climatique. D’ailleurs, la mortalité des arbres en forêt est à la hausse ».
Le constat est bien sombre, complété par celui que rien ne bouge : « Les intentions affichées par les pouvoirs publics, détaillées dans le Programme national forêt bois (PNFB) et la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), ne portent pas les fruits attendus, et ceci pour deux raisons. D’abord, la gouvernance publique des politiques sur les forêts et le bois souffre d’une grande dispersion entre quatre ministères et de nombreux établissements publics, ce qui nuit à la fois à sa cohérence et à son efficacité. Ensuite, les moyens financiers apportés, y compris ceux du récent plan de relance, ne sont pas à la hauteur nécessaire et ne sont pas soutenus dans la durée. Ce manque de cap et de moyens démobilise les acteurs de la filière et rend frileux les investisseurs. »
Les axes d’actions proposés suite à ces constats ré-insistent sur des thèmes qui font consensus, depuis les Assises de la forêt initiées dans le cadre du Grenelle de l’environnement en 2007, et le développement dans toute la société des thèmes du changement climatique et de la décarbonation (qui sont les cadres qui enveloppent toutes les réflexions désormais, dans un fonctionnement du haut vers le bas, des instances et groupes d’influence internationaux vers le terrain). Ils ne tranchent pas par rapport au paysage de pensée mais apportent des précisions.
Les cinq axes prioritaires déclinés par l’AAF :
Axe 1 : Réaffirmer le message-clé « rééquilibrer le bilan carbone au profit des effets de substitution ».
Mieux équilibrer la production biologique et la récolte de bois (+12 Mm3 entre 2016 et 2026. Après 2026 la SNBC prévoit le même rythme soit +1,2 Mm3/an jusqu’en 2026 puis + 0,8Mm3/an de 2027 à 2050) permet de renouveler la forêt par des essences mieux adaptées, d’éviter une réduction brutale d’ici quelques décennies du puits de carbone liée à l’augmentation des risques, d’alimenter la substitution matériau et énergie avec du bois français, et de réduire notre déficit commercial, si nous sommes capables en même temps de mieux valoriser notre ressource feuillue. Nous proposons que cette stratégie constitue la ligne directrice de l’action publique et soit dotée de moyens appropriés, nettement plus élevés que ceux annoncés.
Axe 2 : Lancer un vaste programme de sylviculture et d’adaptation au changement climatique couvrant la période 2022 - 2050.
A partir de quelques scénarios climatiques probables, et de cartographies détaillées, nous recommandons d’identifier sur tout le territoire les peuplements dépérissants ou menacés, qui devront être améliorés ou remplacés. L’objectif du PNFB pourra ainsi être révisé et précisé, ce qui permettra d’actualiser le niveau des récoltes de bois, d’évaluer et de mettre en place les soutiens nécessaires aux actions sylvicoles, et d’organiser la conservation de la biodiversité en lien avec ce vaste plan (cf. axe 4).
Axe 3 : Davantage stimuler la demande de bois matériau dans l’économie, principalement dans la décarbonation du secteur du bâtiment neuf et de la rénovation.
Petit poucet dans le monde de la construction, le bois doit bénéficier de soutiens à l’innovation industrielle dans de nombreux domaines, y compris pour améliorer le recyclage de ses déchets de construction, très important dans la notation de l’analyse de cycle de vie dynamique. La RE 20202 va dans le bon sens, mais il faut aller plus loin en faveur de la bioéconomie circulaire. La décarbonation du secteur du bâtiment passe notamment par la rénovation énergétique, gigantesque marché dont le bois est jusqu’ici écarté de toutes les initiatives publiques. Nous estimons que les pouvoirs publics doivent montrer une volonté ferme, en concertation avec la filière, sur les voies et moyens de développer les usages du bois, à l’image de la charte bois 2.0 allemande, sans oublier l’export sur les marchés où les produits français sont bien valorisés.
Axe 4 : Intégrer les politiques de la biodiversité et de la filière forêt bois.
La biodiversité des forêts, essentielle à leur vitalité et clé du bon fonctionnement de leurs écosystèmes, est moins menacée que celle d’autres milieux par les agressions humaines, mais de plus en plus vulnérable au changement climatique. Aussi en forêt, la politique de la biodiversité doit-elle intégrer des arbitrages complexes avec d’autres politiques (atténuation du changement climatique, prévention des risques). Il faut donc organiser la conservation de la biodiversité en liaison avec l’adaptation particulière des écosystèmes forestiers au changement climatique, avec la contribution du bois à l’essor de la bioéconomie et à la lutte contre l’effet de serre, avec l’importance des forêts comme lieux de loisirs… Or la gouvernance actuelle ne permet pas de faire converger les réflexions des écologues, des forestiers et autres parties prenantes vers des enjeux communs et non antagonistes. Cette gouvernance doit être changée de manière à permettre l’élaboration et la mise en œuvre d’une vision intégrée. Une tutelle unique s’impose.
Axe transversal : Réformer la gouvernance publique et privée de la forêt et des usages du bois.
Des réformes énergiques nous semblent indispensables pour surmonter les défis structurels de la filière forêt-bois :
- dynamiser la gestion des propriétés privées par des soutiens accrus associés à des obligations comme le recours à des professionnels, le regroupement de la gestion, et l’obligation de réinvestir dans la forêt une partie des revenus de la gestion ;
- positionner les acteurs du bois matériau et du bois énergie (dans cet ordre) parmi les filières de la transition, soutenir les apports de capitaux aux investissements, et agir pour développer ces marchés sans conflits d’usages ;
- développer la recherche et le développement en appliquant le Plan Recherche innovation de 2016 qui énonce toutes les priorités de la filière forêt-bois et sur lequel aucun moyen n’a été déployé, et mieux coordonner cette politique avec les initiatives de nos partenaires européens et avec les soutiens mis en place par les régions.
En ce qui concerne les pouvoirs publics, la mise en place d’une tutelle unifiée avec un mode de financement unique des actions collectives depuis la forêt jusqu’aux marchés finaux du bois et à la fin de vie des produits, dans un dialogue respectueux des parties prenantes, s’impose à notre avis pour répondre à tous ces enjeux.