Fondamentaux et éléments nouveaux
Tout le monde sait ce qu’est la photosynthèse : le mécanisme à l’origine de la production de la quasi-totalité des écosystèmes terrestres. Rappelons-en les bases par l’aride équation moléculaire ci-dessous :
6 CO2 + 6 H2O + énergie lumineuse = C6H12O6 + 3 02
En résumé : le CO2 capté par les plantes est allié à l’eau (H2O) pour fabriquer des sucres (C6H12O6) et produire de l’oxygène (O2).
La chose fondamentale à retenir de cette équation : sans eau (sans H2O), pas de photosynthèse. Si l’on ramène ce principe à nos forêts : les arbres ont besoin d’eau pour pousser. On peut choisir de mettre une essence à croissance rapide dans notre forêt pour optimiser ou augmenter notre production, mais si l’eau n’est pas suffisamment présente ou que les essences en place n’arrivent à la capter, la croissance ne sera pas améliorée, voire ralentie ou pire. Pas de baguette magique, donc, mais de bonnes conditions de croissance (réserve en eau du sol conséquente ou précipitations abondantes) et des essences adaptées aux contraintes rencontrées, qui sont parfois très spécifiques.
Rôle des forêts dans le cycle de l'eau
Pour parler un peu plus du cycle de l’eau, nous allons éviter de reprendre les différentes étapes, bien connues aujourd’hui, mais apporter quelques illustrations ou quelques connaissances nouvelles qui nous éclairent sur le rôle des forêts dans ce cycle :
- Certes les forêts transpirent énormément de vapeur d’eau, c’est la base du système de conduction des éléments nutritifs dans les arbres. À titre d’exemple, un grand hêtre transpire plus de 200 litres d’eau par jour en été. Ramenés à l’hectare d’une belle futaie de hêtre, nous arrivons à… 15 000 litres d’eau par jour envoyés dans l’atmosphère ! Cela paraît énorme, mais est-ce beaucoup ? Les précipitations annuelles sont exprimées en mm de pluie tombée par mètre carré, ce qui veut dire que dans une région où il pleut 1 000 mm d’eau par an (moyenne courante sur l’Ouest breton, le massif central, les contreforts ouest des Vosges, …) cela correspond à 10 millions de litres sur 1 hectare, et donc cette transpiration des hêtres sur un jour d’été correspond à… 0,1 % de la pluie tombée. Proportion somme toute acceptable, cela donne une idée des quantités d’eau en jeu.
- Les dernières avancées de la science mettent en évidence d’autres propriétés fondamentales : dans le prolongement de l’étude des hormones végétales qui sont diffusées dans l’atmosphère, la recherche a confirmé que les arbres émettent des composés organiques volatils (COV) dans l’air, qui subissent une transformation sous l’effet de la lumière et agissent dans l’atmosphère comme des « noyaux de condensation de nuage ». Rien de bien surprenant si l’on y pense : la forêt est un endroit humide. Certes, mais le rôle que la forêt prend dans la participation à la formation des nuages et le maintien de cette humidité nous montre l’utilité du couvert forestier à grande échelle : une région forestière favorise la présence de nuages.
- Plus fort encore : les travaux du géoclimatologue Peter Bunyard montrent que les grands massifs forestiers facilitent le transfert d’humidité atmosphérique des océans vers l’intérieur des terres (ce ne sont pas seulement les mouvements des masses d’air qui le détermine… mais aussi les forêts, par le différentiel de pression qui est créé entre la condensation de l’eau des nuages et l’évaporation de l’eau des arbres). Les déplacements des nuages sont donc favorisés par la présence de surfaces forestières importantes. Les conserver devient un enjeu d’autant plus important.
Ce lien entre l’eau et la forêt est donc fondamentalement réciproque : la forêt, à grande échelle, influe sur le cycle de l’eau.
L’impact de la gestion forestière sur la ressource en eau
Aujourd’hui les critiques sur la gestion forestière ne sont pas rares. Elles ne concernent pas souvent la ressource en eau, mais on peut se poser la question : est-ce que nos interventions influent sur cette ressource ?
En mettant les choses à plat, nous pouvons donner quelques éléments de réponse :
- La mise à nu du sol favorise souvent une circulation plus rapide des eaux de surface (pluie, orage), la végétation (ainsi que le bois mort au sol) jouant un rôle d’éponge et de diffuseur plus progressif de l’eau. Mais selon que le sol soit sableux et filtrant, ou lourd et moins perméable, ou encore superficiel, les eaux de ruissellement circuleront différemment. En résumé une coupe rase n’est pas bonne pour la rétention de l’eau dans l’écosystème, mais la végétation qui se remet en place plus ou moins rapidement joue un rôle de rétention et de percolation de l’eau dans le sol.
- Est-ce qu’une coupe à un impact sur la ressource en eau ? Tout dépend de l’intensité du prélèvement. Mais il est certain qu’une coupe sélective (éclaircie, coupe d’amélioration, coupe jardinatoire) d’intensité moyenne à faible ne remettra pas en cause la fonction de tampon hydrique qu’assure la forêt. Une sylviculture douce favorise cette capacité de rétention en eau des écosystèmes.
- La circulation des engins et le débardage des bois sont impactants sur le sol et sur la circulation de l’eau dans le sol, mais en organisant bien les déplacements sur le parterre de coupe (les cloisonnements sont une solution efficace lorsqu’ils peuvent être mis en place), et en évitant les périodes trop sensibles (fortes pluies, dégel), cet impact peut être limité, voire négligeable, ou compartimenté sur des zones dédiées.
- Les eaux de ruissellement circulent plus facilement sur les éléments de desserte (pistes, routes). Lorsque la pente est forte et la distance conséquente (plusieurs centaines de mètres), les effets d’érosion peuvent être significatifs, et générer des usures à moyen ou long terme de ces axes, ce qui entraîne des surcoûts d’entretien. C’est pourquoi il est souhaitable, dans des forêts avec du relief, de redistribuer les eaux de ruissellement assez fréquemment par des renvois d’eau plutôt que de les concentrer dans des fossés, lorsque cela est possible.
Si la ressource en eau devient une préoccupation (et c’est d’ailleurs déjà le cas dans une bonne partie du pays), on peut donc s’attendre à ce que nos réglementations soient plus attentives aux facteurs qui influent sur sa qualité. À nous de défendre nos prérogatives de propriétaires forestiers par une connaissance des enjeux et des techniques.
Une gestion de l’eau par la sylviculture ?
On peut mettre en avant quelques apports liés aux forêts gérées, tirés des résultats récents de la recherche :
- Les résineux interceptent une part plus importante de précipitations que les feuillus. Si l’on veut augmenter la quantité d’eau souterraine, les feuillus sont plus intéressants. Si on veut limiter cette quantité d’eau ou intensifier le rôle de filtre, on peut envisager d’augmenter la proportion de résineux.
- Le couvert forestier réduit le débit des crues. Sur un bassin-versant, il peut y avoir une augmentation significative du débit de sortie à partir de 20 % de réduction de la surface forestière.
- Pour maintenir un couvert forestier continu, et diminuer (lorsque c’est possible) les périodes de stress hydrique accompagnées de diminution de croissance, il faut éviter les peuplements trop denses et trop fermés.
Les instances liées à la gestion de l’eau en France
À titre d’information très synthétique, voici les principaux organismes en charge de la politique et de la police de l’eau :
- Les agences de l’eau. Au nombre de six (Bassin Artois Picardie, Bassin Rhin Meuse, Bassin Seine Normandie, Bassin Loire Bretagne, Bassin Adour Garonne, Bassin Rhône Méditerranée Corse), elles sont les principaux organes de financement de la politique de l’eau dans chaque bassin. Chaque bassin bénéficie d’un SDAGE (plan de gestion de bassin, fixé pour 6 ans).
- GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) est une compétence confiée aux intercommunalités suite aux lois de décentralisation (2 015).
- La police de l’eau est assurée à différents niveaux : l’Office Français de la Biodiversité est le principal intervenant opérationnel, et s’occupe de la police de l’environnement en général (ce sont qui viennent sur le terrain procéder à des constats d’infraction par exemple). Les Directions Départementales des Territoires (DDT) ont également un service « Eau », plus centré sur des contrôles administratifs (demande d’autorisations ou déclarations au titre de la loi sur l’eau), sur la mise en œuvre des politiques relatives à la qualité et à la ressource en eau, et sur la prévention des risques majeurs naturels et technologiques.
- La réglementation des périmètres de protection des captages d’eau potable est au cœur de la problématique de préservation de la ressource en eau, et suivie par les Agences Régionales de Santé.
Des exemples d’opportunités pour les propriétaires forestiers
Dans d’autres pays l’importance de l’eau est parfois mise en avant de manière plus affirmée, comme le montrent ces quelques exemples :
- Pour la ville de Corvallis, en Oregon, l’objectif prioritaire de gestion donné pour la forêt qui recouvre le bassin-versant d’une rivière proche de la ville est la production d’une eau de qualité et des écosystèmes piscicoles prospèrent. La forêt est considérée comme un réservoir d’eau potable, et les zones de fraie de saumon sont importantes, tant culturellement qu’aux niveaux piscicole et touristique. Les gestionnaires privés en charge de la gestion assurent le respect des sols dans les exploitations en pente, évitent les coupes rases, et s’entourent de conseillers scientifiques pour les entretiens ou aménagements de cours d’eau et l’organisation de la desserte forestière. La commune accepte de supporter les surcoûts liés aux objectifs prioritaires stratégiques qu’elle a fixés.
- Des initiatives de recyclage des eaux usées ont été menées dans de nombreux pays (Inde, Tunisie, Égypte, États-Unis, Australie et même Europe…), à vocation double d’épuration (recyclage en eau potable et rechargement de nappe aquifère) et de production forestière, populicole ou fruitière.
- En Suisse, dans le canton de Vaud, un partenariat a été mis en place entre propriétaires, communes distributrices d’eau et distributeurs d’eaux intercommunaux. Il vise à préserver les zones de protection par différents niveaux d’intervention choisis par les propriétaires, qui s’engagent par des contrats, par exemple pour l’application d’une gestion forestière en couvert continu et mélangé, pour la réduction de la part de résineux dans leur forêt (et donc un accroissement moindre) ou pour l’utilisation d’huile bio. Les propriétaires signataires sont rémunérés pour la mise en œuvre de ces mesures.
En prenant ces cas pratiques à la base, les collectivités apparaissent prêtes à engager des dépenses pour préserver leur ressource en eau, pour autant qu’elles soient sensibilisées à ces enjeux (cela devrait être le cas vu les épisodes que nous traversons). À nous forestiers de voir dans quelle mesure l’eau utilisée ou sortant de nos forêts peut constituer un intérêt, un enjeu pour les collectivités locales, et peut-être nous permettre de trouver de nouveaux partenaires dans des discussions où la notion de propriété reste bien comprise.