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Carbone : après l’envoi du bois sous la mer, son enfouissement sous la terre !

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<p>Biomasse végétale séchée, compressée et enrobée avant d'être enfouie pour séquestrer le CO₂.</p>

Crédit photo Graphyte
La start-up Running Tides a développé une technologie de séquestration du bois sous la mer pour générer des crédits carbone. Aujourd’hui c’est la start-up Graphyte qui entend le séquestrer sous la terre, avec le parrainage de Bill Gates, dans le même but. Alors que le Parlement européen vient de voter la proposition de loi sur la certification de l’élimination du carbone, dont une des vocations est de faire barrage au greenwashing et ainsi de pallier les critiques des ONG, la filière forêt-bois ne devrait-elle pas s’inquiéter de cette nouvelle filière de la séquestration, susceptible de devenir massive et d’entrer en concurrence avec celle promue depuis plusieurs années par les professionnels du bois, à savoir le stockage dans les produits bois, tout particulièrement ceux de la construction bois ?

Selon la fondation Euractiv dans sa lettre « Green Brief » du 29 novembre 2023, « alors que la Commission « von der Leyen » arrive au terme de son mandat de cinq ans, les législateurs bruxellois s’emploient à clore autant de dossiers que possible dans l’espoir de concrétiser les derniers textes du Pacte vert pour l’Europe (Green Deal) avant que le Parlement européen ne se retire pour les élections européennes de juin prochain ». C’est ainsi que les lundi 20 et mardi 21 novembre, les parlementaires ont adopté notamment trois textes, sur la certification de l’élimination du carbone, les technologies net zéro et les émissions de CO2 des poids lourds.

« Le changement climatique est déjà si grave que nous ne pouvons pas compter uniquement sur la réduction des émissions, mais nous devons également éliminer le carbone déjà émis », a déclaré Lidia Pereira, une députée portugaise du Parti populaire européen (PPE), porte-parole du Parlement sur la proposition de loi sur la certification de l’élimination du carbone. De son côté le Times magazine remarquait il y a quelque temps que « dans les mondes qui se chevauchent de la science du climat et de la Silicon Valley, il y a beaucoup de gens qui disent que la construction d’énormes systèmes pour éliminer le carbone de l’atmosphère va devenir une entreprise massive » !

Le vote des eurodéputés en faveur de la mise en œuvre d’une certification des absorptions de carbone dans l’Union européenne (1) ouvre ainsi la voie à ces « entreprises massives » bâties autour de technologies permettant de capter directement le CO2 de l’atmosphère. Le projet de loi, qui va être encore examiné par le Conseil, est présenté comme devant barrer la route au greenwashing, et ainsi satisfaire les organisations non gouvernementales (ONG), qui se montrent dubitatives face à ce genre de projets. Le greenwashing est dénoncé en effet (y compris en ce qui concerne la plantation d’arbres, technique d’absorption du carbone aujourd’hui la plus répandue, certaines ONG comme Fern ayant appelé les législateurs à interdire non pas les plantations d’arbres, mais les compensations via la plantation d’arbres).

Très utilisée en compensation d’émissions de carbone, la plantation n’est pas la seule technique existante : d’autres sont développées qui incluent le captage direct de l’air (DAC), aspiration du CO2 directement de l’atmosphère avant de le stocker de manière permanente, soit sous terre, soit sous forme solide.

Milliards de tonnes

Or certaines des techniques nouvelles de stockage s’appuient aussi sur la photosynthèse et requièrent… du bois ! Nous vous l’annoncions en août dernier, des cylindres de bois (plaquettes compressées) enduits de minéraux alcalins ont été envoyés au large de l’Islande avec pour mission de couler dans les profondeurs de l’océan pour séquestrer le carbone… vendu sous forme de crédits par la start-up Running Tide. Si ce projet a pu, pour le moins, induire des questionnements parmi les transformateurs du bois, un autre devrait pareillement susciter leurs interrogations.

Il s’agit du projet de la start-up Graphyte, dont le PDG Barclay Rogers estime que les solutions actuelles ne permettent pas d’éliminer suffisamment de dioxyde carbone de l’atmosphère pour lutter efficacement contre le dérèglement climatique. Ainsi a-t-il mis au point la technologie « Carbon Casting » pour une séquestration de CO2 sous terre ! D’après lui, l’atout majeur de sa technologie est une réduction massive du coût par rapport aux systèmes DAC existants.

À noter que la paternité de l’idée de la technologie « Carbon Casting » revient aussi à Chris Rivest, associé chez Breakthrough Energy Ventures, une société de capital-risque axée sur le climat fondée par Gates, et qui finance Graphyte !

La technologie « Carbon Casting » consiste à enrober hermétiquement des ballots de bois et de matière végétale dans un sac polymère non biodégradable avant de les envoyer sous terre, la procédure ne nécessitant pas beaucoup d’énergie et ainsi étant peu coûteuse, selon le PDG de Graphyte.

Autrement dit, « Carbon Casting » entend récupérer de la biomasse résiduelle telle que la sciure de bois, les chutes de bois et les coques de riz auprès des industries du bois et des exploitations agricoles, pour ensuite les déshydrater, les comprimer en blocs très serrés et enfin les recouvrir de ses barrières imperméables à l’eau et au gaz, deux éléments susceptibles de redémarrer le processus de décomposition de la biomasse, et de les doter de capteurs pour vérifier si les sacs tiennent le coup ! Puis la société enterrera ces « blocs de carbone » sous des terres agricoles exploitées et sous de vastes parcs solaires.

Selon Graphyte, cette technologie permet de stocker des milliards de tonnes de CO2 pendant plus de 1 000 ans, à un coût d’environ 91 € par tonne.

Une usine pilote est prévue pour l’année prochaine, et la société a indiqué commencer à trouver des acheteurs de crédits carbone !

Selon un journal australien, les deux créateurs de la technologie (ils n’ont pas dévoilé de quoi est faite leur enveloppe polymère) déplorent que les grands programmes d’élimination du carbone jusque-là ne retirent que quelques milliers de tonnes de carbone de l’atmosphère, et estiment que leur technologie pourrait en retirer des milliards de tonnes. Ils disent savoir que les biocarburants vont réclamer également de la biomasse pour la décarbonisation des secteurs du transport maritime et du transport aérien, et qu’ainsi la biomasse va commencer à coûter plus cher dans les décennies à venir, mais qu’ils anticipent ces augmentations de coûts. À ce sujet, ils pensent qu’il faudra peut-être prendre des décisions importantes sur ce qu’il faut faire avec la biomasse limitée dont dispose la société. Ils ont, disent-ils, des arguments à faire valoir pour qu’elle aille à leur technologie « d’une grande efficacité dans la conversion de la matière végétale en carbone négatif ». On ne doute pas que Bill Gates saura avancer ces arguments, lui que ne fait pas les choses à petite échelle.

Reste à savoir si les sacs de stockage seront viables mille ans, ce que les créateurs de la technologie affirment en mettant en avant leurs capteurs de surveillance… censés donc eux aussi durer mille ans !

Reste encore à ce que perdure le consensus sur la nécessité de la décarbonation. Si jusqu’ici aucun débat n’émerge vraiment à ce propos, cela pourrait changer à mesure que des scientifiques de très haut niveau la remettent ouvertement en cause.

(1) La proposition deviendra une loi lorsque le Parlement européen et le Conseil se seront mis d’accord sur un texte commun lors des négociations en trilogue avec la Commission.

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