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Biodiversité : des stratégies poupées russes

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<p>En arrière-plan de la Stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) (comme de Foresta 2023) , il y a la quinzième réunion de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP 15), qui s’est achevée à Montréal, au Canada, le 19 décembre 2022 avec l’adoption d’un accord destiné à guider l’action mondiale pour la nature jusqu’à 2030, le « Cadre mondial Kunming-Montréal pour la biodiversité ». </p>

Crédit photo M. Bartoli
Du 20 au 23 novembre 2023, Foresta 2023, session conjointe (1) du Comité des forêts et de l'industrie forestière de la CEE-ONU et de la Commission européenne des forêts de la FAO tenue à Saint-Martin, a traité principalement de l’intégration de la gestion forestière dans le Cadre mondial Kunming-Montréal pour la biodiversité (COP 15 Biodiversité). Le 27 novembre dernier, le gouvernement français a dévoilé sa nouvelle stratégie nationale pour la biodiversité (SNB), qu’il a « conçue comme la concrétisation de l’engagement français en faveur de cet accord [de Kunming-Montréal] ».

La politique mondiale relative à la biodiversité était en tête de l'ordre du jour lors de la réunion d’experts des forêts et de l'industrie forestière européennes (responsables gouvernementaux, représentants d'organisations internationales, de la société civile et du secteur privé) qu’a constitué Foresta 2023. La session a discuté en effet des implications pour les forêts européennes du Cadre mondial Kunming-Montréal pour la biodiversité adopté en décembre 2022 (lors de la 15e COP Biodiversité).

« Il s'agit d'un rassemblement important pour discuter de la manière dont la biodiversité forestière peut être maintenue, améliorée et intégrée dans la gestion durable des forêts de la région, en plus d'aborder d'autres questions telles que la coopération aux niveaux mondial et régional sur la gestion intégrée des incendies », a déclaré Ekrem Yazici, chef adjoint de la Section conjointe CEE/FAO des forêts et du bois à Saint-Martin fin novembre.

Notons que les COP (climat, biodiversité, armes chimiques… ou encore COP pour la Convention de Stockholm, COP pour la Convention de Rotterdam, COP pour la Convention de Bâle, COP pour la Convention de Vienne…) fonctionnent par l’intermédiaire d’un réseau de conventions et d’accords, obligeant les gouvernements à agir d’une certaine manière et les engageant à atteindre divers objectifs dans une grande variété de domaines. Les parties (COP est l'abréviation de « Conference of the Parties », c'est-à-dire que les pays qui ont adhéré sont « parties », en termes juridiques) « s’accordent sur des objectifs spécifiques » mais « développent leurs propres engagements volontaires » pour atteindre ces objectifs et ils « doivent » rendre compte de leurs progrès dans la réalisation de ces objectifs « volontaires ». Si le volontariat est mis en avant dans les textes (voir par exemple la Convention cadre sur les changements climatiques), les COP sont dénoncés par certains observateurs comme les instruments d’une gouvernance mondiale tendant à supplanter les États dans leur souveraineté. Dans le cas de Foresta, on peut voir que le Cadre mondial Kunming-Montréal pour la biodiversité s’impose aux branches professionnelles, via l’encadrement de la CEE-ONU.

De la COP 15 Biodiversité à la SNB

Ce qui est certain est que le gouvernement français a clairement et sans surprise placé sa politique de biodiversité sous l’égide de la COP Biodiversité. « Dans le sillage de la COP 15 et de la mise en place d’un nouveau cadre stratégique mondial pour la protection de la biodiversité, la Stratégie nationale biodiversité se conçoit comme la concrétisation de l’engagement français en faveur de cet accord », avait annoncé le gouvernement lors de la première présentation du texte en juillet 2023. La stratégie présentée le 27 novembre dernier prévoit un plan d’ici 2030 autour de 4 axes : « Réduire les pressions », « Restaurer la biodiversité », « Mobiliser les acteurs » et « Renforcer les moyens ».

« Nous avons décidé de protéger davantage d’espaces. Nous avons déjà atteint les objectifs de Kunming-Montréal en matière de protection des espaces. Nous voulons faire plus et comme l’a annoncé le Président de la République, nous placerons 10 % de notre territoire sous protection forte. Nous voulons également restaurer les sols. C’est le sens de notre engagement à planter 50 000 kilomètres de haies (2) d’ici 2030 et un milliard d’arbres d’ici dix ans », a annoncé la Première ministre le 27 novembre dernier.

Le plan proposé par la SNB est décliné en 40 mesures (et 200 actions) : poursuivre la dynamique d'extension du réseau d’aires protégées ; lutter contre l'artificialisation ; lutter contre nos impacts importés ; réduire les pollutions aux pesticides ; diviser par deux la pollution lumineuse ; renforcer la lutte contre la pollution par les plastiques ; lutter contre les pollutions sonores sous-marines ; améliorer la lutte contre les espèces exotiques envahissantes ; lutter contre nos impacts importés ; accélérer la restauration des écosystèmes ; renforcer la résilience du système forestier ; restaurer les continuités écologiques ; renforcer la protection des espèces menacées, en particulier en outre-mer ; accéder à la nature à moins de 15 minutes de chez soi ; accompagner les entreprises dans la transition de leur modèle économique ; former à tous les âges de la vie ; renforcer l'accompagnement des collectivités ; sensibiliser pour passer à l'action ; des moyens d'action de l'État augmentés ; une gouvernance claire, territorialisée, en partenariat avec les régions ; pour financer sa préservation, déploiement des contrats biodiversité entre acteurs économiques ; conforter la police de l'environnement ; réaliser le premier recensement exhaustif de la biodiversité nationale, dans l'Hexagone comme en Outre-mer.

Un milliard d’euros

D’après le site du ministère en charge de la Biodiversité, « l’État consacrera plus d’un milliard d’euros supplémentaires à la protection de la nature et de l’eau dès 2024 ». « Ce budget inédit », indique le ministère, « a été permis grâce à un financement supplémentaire de 264 millions d’euros du Programme 113 Eau Biodiversité à partir de 2024, de 400 millions d’euros du Fonds vert sur la renaturation et le recyclage des friches pour éviter l’artificialisation, ainsi que de 475 millions d’euros consacrés à la préservation du milieu aquatique par les agences de l’eau ».

« À partir de cette enveloppe, 150 millions d’euros seront mobilisés en 2024 pour financer des projets des territoires pour le diagnostic des enjeux (Atlas de la biodiversité communale), la restauration de l’environnement et la réduction des pressions, la protection des espaces et des espèces. Les porteurs de projets y accéderont simplement par un portail unique « Aides territoires » pour déposer leur demande d’aide via un formulaire dématérialisé », indique le ministère.

« Dès 2024, un plan de réorientation ou suppression progressives des subventions néfastes à la biodiversité sera élaboré, incluant une mission IGF/IGEDD/CGAAER pour poser un diagnostic fouillé et élaborer des propositions. Enfin, pour amplifier ces actions, les services de l’État renforcent les effectifs des agents engagés sur le terrain pour préserver et restaurer nos espaces naturels : 141 emplois supplémentaires seront déployés au plus près des besoins locaux. Chaque jour, des femmes et des hommes participent en effet à la mise en place dans les territoires de la Stratégie nationale biodiversité 2030. Parties prenantes, agents de l’État, agents territoriaux, chacun contribue à son échelle à développer la stratégie de l’État en matière de protection et de résilience de notre patrimoine naturel. »

Concernant la prise en compte de la biodiversité par les entreprises, d’après le gouvernement, « un cycle de travail avec les fédérations professionnelles et les entreprises est initié dès 2023 pour favoriser la prise de conscience des acteurs économiques, afin qu’ils identifient leurs dépendances à la nature et les impacts de leurs activités sur la biodiversité, pour les réduire au maximum ». Il poursuit dans son communiqué publié à l’occasion de la publication de la SNB, que « le déploiement des obligations de reporting extra-financier (CSRD) renforcera la prise en compte de la biodiversité dans la stratégie d’entreprise et la transparence des impacts par les grands groupes. De plus, les TPE et les TPM-PME seront accompagnées par BPI France et l’Ademe dans le diagnostic de leurs enjeux biodiversité et les leviers dont elles disposent pour réduire leur empreinte ».

Injonctions contradictoires

Pris dans le kaléidoscope des stratégies, les entrepreneurs de travaux forestiers vont continuer, on le voit, à être tiraillés entre des injonctions contradictoires.

L’interface entre la politique en faveur de la biodiversité et la politique forestière comporte en fait bien des pierres d’achoppement : rappelons juste que quelques semaines avant la publication en juillet 2021 (en même temps que le paquet législatif « Fit For 55 ») de la « nouvelle stratégie de l’UE pour les forêts pour 2030 », à la lecture d’une version provisoire de publication de la stratégie, onze États membres menés par la Finlande et l’Autriche avaient rédigé une lettre à l’exécutif européen. Cette lettre, signée par la France, reprochait à la Commission européenne de considérer la forêt uniquement comme sanctuaire de biodiversité et non comme un espace économique.

Au final le constat est inévitable que les COP (en particulier celle dédiée à la biodiversité ou celle dédiée au climat se déroulant ce début décembre à Dubaï) sont des structures qui affectent en direct la filière forêt-bois. Or derrière les COP se dessine une gouvernance mondiale dont il serait primordial de s’interroger sur les intérêts qu’elle sert. Comment gérer des dissensus sur le terrain dans un fonctionnement pyramidal, sans connaissance des objectifs poursuivis au sommet ?

(1) Il s'agissait de la quarante-deuxième session de la Commission européenne des forêts, dont les délégués de 40 pays et de l'Union européenne se réunissent tous les deux ans. La Commission a été créée en 1947 et est l'une des six commissions forestières régionales établies par la FAO pour fournir un forum politique et technique permettant aux pays de discuter et de résoudre les problèmes forestiers dans leur région. Il s'agissait de la quatre-vingt-unième session du Comité des forêts et de l'industrie forestière, un organe subsidiaire principal de la CEE-ONU qui constitue un forum de coopération et de consultation entre les pays membres sur les questions liées à la foresterie, à l'industrie forestière et aux produits forestiers.

(2) Lire par ailleurs le 94e Cahier du bois-énergie : "Bois-énergie et durabilité de la ressource bocagère", dans notre édition 1201 des 2 et 9 septembre.

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