Dans son introduction, le Rapport présente les forêts de la métropole et de l’outremer aux plans géographique, historique et botanique. Mais si le descriptif est exact, les réflexions et les conclusions qui en découlent sont biaisées, conservant seulement ce que souhaitent les militants. Ainsi, au lieu d’aborder les incertitudes scientifiques relatives à l’impact du réchauffement climatique [1], les rédacteurs retiennent les positions les plus convenues.
Notre note vise à rectifier ou compléter les aspects négligés. Cette Commission, présidée par Mme la députée Catherine Couturier, Mme la députée Sophie Panonacle étant rapporteur, dut certainement accepter des compromis dans l’étape finale. Nos remarques concernent les forêts métropolitaines, faute de compétence pour apprécier la situation des forêts ultramarines eu égard aux transformations climatiques.
Enfin, à titre d’exemple sur l’utilisation des statistiques, choisir le taux de boisement départemental comme dans le Rapport, c’est obtenir en tête de classement : Corse-du-Sud, Alpes-Maritimes, Var et Alpes-de Haute-Provence ; choisir la surface forestière départementale, c’est obtenir : Landes, Gironde, Dordogne et Var… Mieux vaut donc les employer avec prudence en tenant compte de leur objectif et de leur confection.
Quelques rappels
Les forêts en France sont hétérogènes non seulement à l’échelle des régions mais aussi à l’échelle des propriétés et des parcelles. Cela renvoie à la latitude, à l’altitude, à l’exposition, à la profondeur et à la nature des sols, bref à la valeur des stations. La superposition des cartes pédologiques et forestières explique à l’échelle de l’Union Européenne (UE) la répartition et la typologie des essences. Étrangement, ces informations n’apparaissent pas ou peu dans ce Rapport sur les effets de l’évolution climatique. La France a les forêts les plus diversifiées de l’UE, avec près de 150 essences, dont plusieurs dizaines dominantes, contrairement à la plupart des pays, certains n’en ayant que deux ou trois comme la Suède ou la Finlande. Que dire alors des centaines de millions d’ha de résineux en quasi « monoculture » au Canada ou en Sibérie ?
Par ailleurs, entre 1850 et 1980, la France a vu sa superficie forestière doubler ; la couverture atteint déjà 15 millions d’ha sans qu’on puisse imputer sa croissance à l’administration, a fortiori au réchauffement climatique : + 1,19 °C en 130 ans. Elle atteint maintenant 17 millions d’ha en raison de l’abandon des terres agricoles enfrichées et des parcelles boisées excentrées et/ou exiguës. Au fond, ce délaissement aide la biodiversité, ce qui n’est pas si mal pour des bois sans Plan simple de gestion (PSG) ! Le stock de bois sur pied aurait égalé celui de la Suède sans les tempêtes de 1999 et 2009.
Enfin, le cadre juridique et politique des forêts détermine plusieurs données :
1/ La forêt est majoritairement privée à l’instar des autres pays forestiers de l’UE. La répartition public/privé y est à peu près équilibrée depuis l’intégration des ex-pays communistes. En France, 75 % de la superficie forestière est privée ; 25 %, publique. Les forêts de l’État (issues de la Couronne et de l’Eglise) relèvent de son domaine privé : cela l’autorise à réglementer l’ouverture ou la fermeture totale ou partielle d’un massif. Les forêts communales relèvent, elles aussi, du domaine privé des communes. Dans les années 1960, l’administration a été scindée entre Services extérieurs (les DDT-M) et l’ONF, établissement à qui a été confié le monopole la gestion des forêts « privées » de l’État et des communes.
2/ Les forêts des particuliers, personnes physiques ou morales, sont soumises à une gestion durable obligatoire, condition unique au monde. Le Rapport ne la mentionne pas. Dommage. Car le propriétaire a l’interdiction de défricher et l’obligation de reboiser, impératif que compensent fiscalité adaptée et subventions publiques en cas de sinistre. Le Rapport note seulement que « la forêt française est une des plus réglementée au monde » mais « sans aller toutefois jusqu’à une gestion collective » (p. 44). L’expression étonne dans un document consacré aux effets du climat sur les forêts, lesquels ne sont pas liés au type de gestion. La gestion collective des forêts tiendrait-elle mieux compte de l’évolution climatique que la gestion individuelle ? C’est là pure idéologie.
Ce discours reprend les arguments rodés dans les années 1960 pour généraliser des obligations supplémentaires : avant-hier, on voulait accroître la production au nom de l’économie ; aujourd’hui, on voudrait mélanger les essences au nom de l’environnement. Le Rapport signale pourtant qu’il serait utile de mieux connaître les modes de gestion. Apparemment, la Commission ignore les études menées sur le sujet. Pas un mot sur le rapport de l’INRA-IGN, « Quel rôle pour les forêts et la filière forêt-bois dans l’atténuation du changement climatique à l’horizon 2050 ? » (2017) : étaient testés différents scénarios à partir des hypothèses du GIEC sur l’augmentation des températures (+ 2 °C ; + 3 °C, etc.). Pas un mot non plus sur le programme de coopération entre laboratoires européens lancé voilà plus de quinze ans : dirigé par l’IEFC (INRA-Bordeaux) et baptisé REINFFORCE, il examine l’adaptation des essences aux divers climats, sur 41 sites du sud au nord de l’UE.
La citation de Mme M. Legay, p. 55, (directrice de AgroParisTech-Nancy) : « La diversité génétique au sein d’une même espèce a autant sinon plus d’importance que la diversité des essences composant un massif », resterait donc lettre morte ? Oui, car le Rapport exprime la conviction des auteurs indépendamment des réalités de terrain et des analyses des chercheurs, surtout lorsqu’elles dérangent. Cependant, il est écrit dans l’Avant-propos qu’en matière forestière : « Il faut des décennies pour constater des erreurs et des décennies pour les rectifier… Les responsables politiques ne doivent pas s’attendre à trouver des solutions prêtes à l’emploi dans ce domaine où les certitudes absolues n’existent pas et où il faut admettre le droit à l’erreur » (pp. 9-10).
Pourquoi n’envisager alors que l’inopérant ?
Les documents de gestion
Le Rapport traite des PSG sous l’angle des modifications climatiques, mais n’évalue pas leur acceptation et leur exécution. D’où ses approximations : « 9 millions d’ha dépourvus de tout cadre de gestion durable » (p. 113) ; des obligations environnementales piétinées, la production écrasant « les autres objectifs » sans qu’ils soient énumérés ; un morcellement incompatible avec une gestion « optimale » sans qu’elle soit définie. C’est sur ce fondement qu’est proposée LA solution qui réduirait l’impact du climat sur les forêts : descendre le seuil des PSG de 25 à 20 ha sauverait 500 000 ha, soit 5,5 % des 9 millions d’ha "non gérés" durablement. Vu l’enjeu, l’idée est faible. Pire, elle est avancée sans tirer les leçons du texte précédent : passer de 25 ha d’un seul tenant à 25 ha composite. L’a-t-on fait partout ? Avec quels résultats ?
Il est deux autres manques, l’un à propos du CNPF ; l’autre, de l’ONF. Comment le CNPF peut-il fonctionner après la centralisation des CRPF, alors que leur régionalisation conditionnait leur acceptabilité ? Comment l’ONF peut-il être exemplaire, alors qu’il est déficitaire depuis toujours ou presque ? C’est l’établissement le plus subventionné du ministère de l’Agriculture, malgré l’avantage que représente le monopole. En 2015 il ne disposait toujours pas d’une comptabilité analytique, facturant des coûts de gestion très élevés sur les forêts des communes [2] et des collectivités. Il est vrai que, longtemps, la présidence de l’ONF revint au secrétaire général de l’Élysée, preuve du lobbying efficace des ingénieurs du corps. Mais tout cela éloigne de la « survie de nos forêts » (p. 11).
Quant à l’approche des techniques sylvicoles, elle bute sur le dogme de la futaie irrégulière : tous les forestiers en auraient l’ambition à ceci près qu’elle suppose un sol riche et une superficie importante (des centaines d’ha) car sinon les dépenses excèdent les recettes. Prosilva et autre AFI défendent ce traitement, les rédacteurs du Rapport aussi, ce qui les range du côté des grands propriétaires, situation assez cocasse tout compte fait.
Quid alors des 9 millions d’ha, composés de micropropriétés insuffisamment gérées ? Le morcellement de la forêt française est déploré depuis longtemps, les ingénieurs forestiers suggérant un remembrement autoritaire avec gestion collective, d’où antiennes sur la multifonctionnalité, la défense du bien commun, le sens de l’intérêt général, etc. Comme dans les forêts de l’ex-URSS, de la Chine, du Brésil, de Cuba ?
La statistique réinterprétée
La question essentielle est ailleurs : les termes Parcellisation et Biodiversité sont-ils antinomiques ?
3,2 millions de propriétaires ont 10 M d’ha [3]. Pas de quoi paniquer ! 3 M ont moins de 4 ha chacun ; 2,1 M d’entre eux totalisent 679 000 ha : moins de 3 000 m² chacun ! Là, on ne parle plus de forêt, mais de jardin, de parc, d’allée plantée jusqu’à la maison ou la ferme. Leur propriétaire n’est pas plus « exploitant sylvicole » que le propriétaire d’un potager n’est « exploitant agricole ». Ce qui compte, ce sont les 376 000 propriétaires qui ont 4 ha et plus : leur nombre est proche de celui des agriculteurs : 400 000 environ.
Voilà qui change la perspective.
Au reste, les « 9 millions d’ha dépourvus de tout cadre de gestion durable » le sont-ils vraiment ? Car la micropropriété contribue à la variété et au maintien des paysages, fonction dont le Rapport ne tient pas compte : les propriétaires des forêts sont bel et bien des acteurs de la biodiversité. D’ailleurs, à défaut de PSG, le Code forestier place lesdits propriétaires sous le « régime de l’autorisation administrative », autrement dit sous contrôle des services forestiers des DDT-M.
À ce stade, les rédacteurs ont quitté l’analyse objective pour l’interprétation subjective, celle qui va dans leur sens, quoique démentie par les faits. En 1975, la mise en œuvre du premier PSG visait à remédier à la pulvérisation des propriétés, à l’absentéisme des détenteurs, à l’insuffisance des récoltes, la demande en bois étant puissante. Et qu’observe-t-on ? La récolte des grumes feuillues diminue inexorablement malgré le sursaut des années 1990 (Source Agreste, milliers de m3).
Faut-il préciser que l’ONF fournit 40 % de cette récolte, le massif landais 40 % aussi, mais sur 1 million d’ha, le reste venant des forêts privées des autres régions où elle ne cesse de baisser ? Ce que corrobore indirectement le Rapport en déclarant la forêt française vieillissante. Il ne perçoit donc pas que cette phrase contredit la « logique de production (qui) l’emporterait sur les autres objectifs de gestion durable ». La cohérence n’est visiblement pas au rendez-vous. Idem du discours sur les circuits courts, qui fait regretter les « petites » scieries d’antan tout aussi sympathiques que les « petites » fermes. C’est oublier la temporalité des récoltes forestières et la permanence des demandes matériau-bois. On n’est plus au temps où chacun coupait un arbre en fonction de ses besoins propres.
Les techniques vont changer comme elles l’ont toujours fait. Les essences vont migrer comme elles l’ont toujours fait car la forêt bouge, contrairement aux apparences dues à la longévité des essences majeures. Nombre d’entre elles sont exogènes, souvent originaires du Proche et du Moyen-Orient, mais les auteurs n’en déduisent rien : ils soutiennent les thèses favorables aux essences endogènes et hostiles aux exotiques. Certes, certaines essences vont s’adapter. Mais d’autres disparaîtront qui sont familières ; d’autres apparaîtront qui étonneront par leur dynamisme.
C’est ce qu’on appelle… « l’Évolution naturelle » ! Et l’existence de documents de gestion ou l’abaissement du seuil des PSG n’y pourront rien… Quand les bases d’un raisonnement se fissurent, l’édifice s’écroule. Ajoutons qu’à force de multiplier encadrements et interdictions, récolter deviendra compliqué. Or la diminution des prélèvements accroît les importations de produits bois, déjà alarmantes. Non content de creuser le déficit commercial, abyssal, cela nuirait au bilan environnemental : une forêt gérée durablement peut être un puits de carbone, mieux, une pompe à carbone.
La protection des forêts
L’urgence de la situation appelle des mesures d’une toute autre portée. Sur le plan sylvicole, la révision des stations géo-climatiques et du ratio essences/ densité/ qualité du sol/ quantité de pluie va de soi, bien sûr. Au-delà de ces correctifs, l’accentuation des risques exige des interventions immédiates afin que les forêts puissent remplir leur rôle de protection à moyen et long terme. Deux volets à cette action : la Défense de la santé des forêts (DSF) et la Défense des forêts contre l’incendie (DFCI).
1/ Le réseau Défense de la santé des forêts
Créé en 1989, le DSF n’est l’objet d’aucune suggestion. Or la sécheresse en affaiblissant les arbres accroît leur vulnérabilité aux attaques sanitaires, ce qui oblige à modifier le ratio sol/essences/densité. Le cas des épicéas était déjà révélateur du phénomène lors de l’épisode « Pluies acides ». Il n’est pas isolé. Contre ces phénomènes, renforcer la surveillance de terrain suppose d’augmenter les moyens du DSF : recruter des hommes, abattre des arbres, évacuer des grumes touchées, éclaircir des peuplements pour limiter les risques de propagation.
Cela signifie davantage du personnel et de matériel. Les photos satellites indiquent les « taches » dans la canopée qui correspondent aux attaques parasitaires : on peut donc réagir vite et fort comme dans le massif des Landes lors de la crise Scolytes. Les drones servent aussi grandement. Le Rapport fait allusion à la Caisse de Prévoyance fondée à l’initiative du Syndicat des Sylviculteurs du Sud-Ouest, exemple unique, mais sans expliquer ses objectifs, son ancrage, son mode de financement. Une lacune de plus…
Les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas à confondre avec des maladies cycliques déjà connues, depuis longtemps parfois, et propres à certaines essences, Orme, Frêne, Châtaignier, Platane. Souvent liées à l’âge, les scientifiques savent les identifier, pas toujours les soigner. Il est donc regrettable que la France ait aussi peu d’entomologistes forestiers, surtout dans le contexte du changement climatique. En former davantage semble autrement plus urgent que des RTG ou des PSG supplémentaires, qui porteront leurs fruits (s’ils en portent !) d’ici dix ou quinze ans.
2/ Le réseau Défense des forêts contre l’incendie (DFCI)
Depuis le XIXe siècle, on sait tout du démarrage des feux, des difficultés de la lutte, des solutions également [4], mais les décisions furent continûment repoussées. Ce fut le cas dans le Sud-Est. La thèse de Henri Amouric sur Les Incendies de forêts autrefois dans le circum méditerranéen le montre. Tous les élus devraient la lire [5]. La Commission ne pouvait naturellement pas empiéter sur le texte du Sénat en juin 2022 actuellement en débat à l’Assemblée Nationale sur l’intensification et la généralisation des risques d’incendies. La proposition sénatoriale améliore le cadre juridique des OLD, en tenant compte des pressions sociales et urbaines sur les massifs durant l’année, a fortiori durant les phases sèches.
En effet, correctement exécuté, le débroussaillage dans les interfaces lotissements/maisons/forêts ainsi que le long des routes et autoroutes, des axes ferrés et des lignes EDF réduit le risque des départs de feu et celui de leur extension. Il en va de même du risque des incendiaires avec davantage de présence et de contrôle de la gendarmerie ; davantage aussi de sanctions au pénal et au civil. Mais ce dispositif ne sera opérationnel que si les préfets et les maires l’appliquent, ce que tous ne font pas. Pourquoi ces réticences, voire cette passivité ? Ces propositions vont elles y remédier ?
Reste un angle mort : la prévention, autrement dit « la mise en défens » des forêts contre l’incendie. Là aussi, les méthodes sont anciennes, même si l’année 1945 marqua un tournant dans les Landes de Gascogne : dirigées et financées par les propriétaires sylviculteurs, plus de 200 ASA conduisent une politique de DFCI. Car si le texte prône une mise en défens à l’échelle des massifs, les sénateurs et les députés n’ont pas osé obliger les propriétaires, indépendamment des surfaces détenues, de se regrouper, par exemple dans le cadre ASA-DFCI, pour s’engager aux côtés des maires concernés.
L’abaissement du seuil des PSG, documents relevant de la situation individuelle de chaque propriétaire, n’a rien à voir avec la protection obligatoire et collective à l’échelle d’un massif. La Commission aurait pu évoquer ce sujet. Mais venus en Gironde, ses membres n’ont même pas rencontré les responsables de l’AR-DFCI et du GIP-ATEGERI. Rien sur l’histoire de la DFCI depuis les fournaises d’août 1949 qui firent 82 morts civils et militaires. Rien sur les mesures qui suivirent. Rien sur l’efficacité des 212 ASA-DFCI. À croire que cette gestion public/privée du risque Feux de Forêt unique en France et en Europe dérange ?
3/ L’alibi des coupes rases
En matière de protection, le Rapport néglige les incendies et leur prévention, mais insiste sur les coupes rases. L’exercice est acrobatique, faute de lien patent entre Effet du réchauffement sur les forêts et Modes de prélèvement en forêt. Indiquer qu’il est difficile « de justifier les coupes rases, même sanitaires, auprès de l’opinion publique » n’est jamais… qu’une opinion, celle de militants. Formée en 2020, l’association Canopée réclame leur interdiction. Est-ce suffisant pour l’approuver ? Non, évidemment : elle a peu d’adhérents, pas d’ancrage, aucun recul en sylviculture. Elle est pourtant reçue dans l’enceinte parlementaire. Mais quelle est sa représentativité ?
Le Rapport laisse croire que la prohibition des coupes rases permettrait à la forêt française d’affronter le réchauffement climatique. C’est oublier que la loi oblige le propriétaire public ou privé à reboiser (aucun terrain ne reste en friche) et l’empêche de défricher (aucun terrain boisé ne change d’affectation). Combien de PV pour coupe illégale, non-respect du délai fixé à 5 ans ou atteinte au milieu boisé ? Le Rapport constate seulement la faiblesse desdites coupes : 0,5 % de la superficie forestière nationale (1991-2000 : 6 000 ha/an). Lesquels portent sur quelques régions, la récolte en mosaïque étant surtout landaise.
Au total, cette technique n’est pas nuisible ni théoriquement, ni pratiquement. Et scientifiquement ? Le Rapport cite le séminaire organisé par le GIP-Ecofor/RTM-Aforce (novembre 2022) : une soixantaine de chercheurs réunis sur ce thème. Mais il n’en dit pas plus, leur préférant un membre du Centre européen de recherche en enseignement et géosciences de l’Environnement (CEREGE) : Joël Guiot. Selon lui, les coupes rases « sont une hérésie pour un biologiste puisqu’elles appauvrissent les sols et la biodiversité » (p. 131).
Joël Guiot répondait donc à titre personnel, sans trancher de ce qu’il en était pour d’autres, en France ou ailleurs. En fait, les choses sont moins nettes qu’il y paraît. Les conclusions diffusées à l’issue du séminaire témoignent d’une grande prudence, y compris sur l’érosion que les coupes rases seraient sensées amplifier. Elles remarquent que cela dépend de leur étendue et de leur position, le facteur Pente l’emportant sur tous les autres. Elles souhaitent donc la poursuite des études, précautions que les forestiers connaissent et admettent : les cas d’érosion sont rares, très rares.
Les coupes rases ne sont pas nuisibles. Et si elles étaient utiles ? De fait, le couvert boisé étant souvent fermé, tellement dense que le recrû ne pousse pas, une coupe rase de quelques hectares provoque un effet-clairière, d’où une colonisation végétale qui fait les délices des ongulés. Il n’y a donc pas « perte de biodiversité », mais surgissement d’une autre, provisoire, le temps que le reboisement la remplace. Si la biodiversité sciaphique est jugée « meilleure » que l’héliophile, oui, il y a débat. Où est le juge qui décide ? Avec quelle légitimité ?
Dans les Landes où la coupe rase des pins maritimes est pratiquée depuis la création du massif, les feuillus et la flore qui apparaissent alors enrichissent le sol, podzol des plus ingrats. Cette abondance momentanée de flore et de faune représente une valeur ajoutée biologique indiscutable : des espèces menacées, inféodées aux coupes rases tel le papillon Fadet des laîches reviennent alors. Être objectif implique de ne pas condamner trop vite les coupes rases. Elles ont leurs vertus. Elles sont souvent critiquées au nom de ce que nous nommerons le « syndrome de la fenêtre ».
Beaucoup de gens estiment que ce qu’ils regardent leur confère un « droit au paysage ». Toute modification les choque, surtout quand il s’agit de citadins : ils n’ont pas l’habitude de scruter les nuages et de voir les paysages évoluer avec les saisons ou les coupes, contrairement aux agriculteurs pour qui ces données sont essentielles. Cependant, informer le public, expliquer l’intérêt de couper et de planter lui permet de comprendre que le temps des forêts n’est pas celui des hommes. Les tempêtes Lothar et Martin de 1999, Klaus de 2009 provoquèrent des « méga-coupes rases » ! Les habitants étaient abasourdis. Les forestiers étaient traumatisés. Mais à force de travail, de contact avec la population, la pédagogie fit son effet : villageois et résidents surent qu’ils reverraient un jour le paysage aimé.
Suite à ces catastrophes et aux reboisements, a-t-on eu davantage d’érosion ? moins de biodiversité ? Pas du tout ! Du reste, les coupes rases sont réglementées : contraintes par les labels de certification, elles sont définies en fonction des surfaces, des peuplements, du site et de l’emploi. Il conviendrait donc que les adhérents à ces mouvements anti-exploitation et anti-consommation ne sortent pas de leur rôle de lanceurs d’alerte. En France, les coupes rases menacent moins les forêts que le changement climatique, les maladies ou les incendies [6]. Voilà les problèmes à résoudre.
Cela suppose une politique pour adapter le patrimoine sylvicole au réchauffement, pour restaurer les milieux boisés les plus affectés : instaurer un Fonds national de garantie pour la protection des forêts aurait dû être la conclusion majeure de ce Rapport [7].
Est-il encore temps ?
[1] Ce Rapport parle toujours de « dérèglement climatique », expression que nous ne reprendrons pas car elle postule un règlement climatique qui n’a jamais existé.
[2] CGEED, IGF, CGAAER, Rapport sur le Régime forestier mis en œuvre par l’ONF dans les forêts des collectivités, 2015.
[3] Rapport CGAAER n° 14064, 15 décembre 2015, et PNFB 2016.
[4] Henri Faré, Rapports au Ministre des Finances sur les incendies de forêts dans les Maures et l’Esterel en 1868 et dans les Landes de Gascogne en 1872. Enquêtes de l’inspecteur principal et directeur général des Eaux et Forêts.
[5] Henri Amouric, Rapport sur les incendies autrefois dans la région méditerranéenne, Cemagref-Cerfise, décembre 1985. Cf. Thèse de doctorat en histoire, Université d’Aix-en-Provence, 1990.
[6] Ce rapport reconnaît l’absence de rémunération des aménités et autres services rendus par les forêts grâce à la gestion soutenue depuis des générations par leurs propriétaires, mais certains trouveraient bon d’accorder des subventions publiques aux « ONG » qui entretiendraient des milieux boisés dont ils ne sont pas propriétaires. Où est la rationalité dans ce raisonnement ?
[7] Christian Pinaudeau, Gouvernance de la filière forestière et Gestion des risques incendie, thèse de droit, Université Bordeaux-Montesquieu, 2020, publ. Échec aux feux de forêt, Paris, L’Harmattan, 2020.