ExtraFor_Est est un projet de recherche visant à connaître en quantité (en Grand-Est et BFC) et en qualité les molécules extractibles à partir de différents compartiments (duramen et aubier mais surtout nœuds et écorces) du hêtre, du chêne, du sapin, de l’épicéa, du douglas et à identifier et scénariser économiquement de potentielles valorisations industrielles de ces molécules. Gemm_Est vise la même chose à partir de l’oléorésine obtenue par gemmage des sapin, douglas, pin sylvestre, épicéa, mélèze, dont est étudiée parallèlement la faisabilité dans le Grand-Est. L’exploration des débouchés potentiels a commencé, et un site pilote de traitement des extractibles est lancé.
Élargir les usages de la forêt et du bois en offrant au secteur chimique de remplacer ses matières premières pétrosourcées par de nouvelles matières premières issues des arbres, tel est le projet global – aussi dénommé «bioéconomie» – dans lequel les programmes de recherche ExtraFor_Est et Gemm_Est s’inscrivent.
ExtraFor_Est, qui a démarré en en juillet 2017 et se terminera en décembre 2021, a été lauréat de l’appel à projets «Innovation et investissements pour l’amont forestier» lancé par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt (Maaf) en 2017 dans la suite de la publication du Programme national de la forêt et du bois (2016). Il est labellisé par les pôles de compétitivité Fibres énergivie et Industries et agro-ressources (IAR), et il est désormais une composante de l’initiative régionale Grand-Est Territoire d’investissement «Des hommes et des arbres. Les racines de demain» (labellisé par le Gouvernement en septembre 2019). Les cinq sources de ses 1,25 million d’euros de subvention sont principalement le MAAF, et en complément le Feder Lorraine, le Labex Arbre, l’Ademe, la région Grand-Est. Réunissant des savoir-faire de plusieurs domaines, et en particulier la chimie, les sciences du bois, l’inventaire forestier, il réunit six équipes de recherche (Silva, Lermab, Beta, Critt bois, IGN, ONF RDI).
Gemm_Est, qui a démarré en octobre 2019 et s’achèvera en octobre 2021, a été lauréat de l’appel à projets Mirabelle+ 2018 Lorraine Université d’excellence et bénéficie de 140.000 euros de subvention. Le projet mobilise 12 chercheurs, 1 doctorant et 2 masters 2, appartenant à six équipes de recherche (UMR Silva et IAM, Lermab, BETA, IGN et MNHN) et œuvrant dans les domaines de la socio-ethnologie, la chimie du bois, la génomique, la biochimie, la physiologie, la bioéconomie et les études des ressources forestières. S’inscrivant dans le territoire de la région Grand-Est, il porte sur 1,9 million d’hectares de forêts.
De précieuses molécules
ExtraFor_Est* s’est penché sur les précieuses substances de faible masse moléculaire du bois : tannins, composés aromatiques… – co-existant dans l’arbre avec les principaux constituants du bois cellulose, hémicellulose, et lignine – avec en ligne de mire la mobilisation de ces molécules d’intérêt dans un démonstrateur d’extraction. Les connaissances chimiques sur les cinq essences forestières étudiées, le sapin, le douglas, le chêne et le hêtre, ont d’abord été complétées, et ceci par compartiment : non seulement en évaluant la nature et les taux d’extractibles dans le duramen, l’aubier, les nœuds, l’écorce, mais aussi selon la hauteur du compartiment dans l’arbre, et selon deux types de sylviculture. Ensuite, par extrapolation, grâce aux données IGN, les quantités d’extractibles pour la totalité des forêts des deux régions Grand-Est et BFC et leurs récoltes annuelles ont été évaluées. L’intégration de ces données dans un modèle dynamique de ressource forestière, de filière et de ses produits – bois d’œuvre, bois d’industrie, connexes est en cours. «Nous nous sommes appuyés notamment sur un modèle qui a été mis au point pour la comptabilité carbone», a expliqué Francis Colin, directeur de recherche Inrae et coordinateur des projets ExtraFor_Est et Gemm_Est.
Gemm_Est ambitionne d’évaluer la faisabilité du gemmage sur des espèces de résineux de l’Est de la France afin de répondre à la demande croissante en biomolécules. Il vise à apporter des bases scientifiques et techniques pour identifier les essences les plus appropriées pour le gemmage en Grand-Est (cinq essences sont envisagées : sapin, douglas, pin sylvestre, épicéa, mélèze) et à connaître les conditions permettant de valoriser cette ressource et optimiser son exploitation. Pour ce faire, Gemm_Est étudiera une procédure de récolte de la gemme moderne et efficace, analysera la production et la composition de la gemme produite par les différentes essences, sélectionnera les essences produisant la gemme la mieux valorisable (sur les cinq espèces étudiées, deux seront retenues, selon la quantité de gemme produite et sa qualité), recensera les peuplements présents sur le territoire susceptibles d’être gemmés, tout en réalisant une analyse économique préalable.
Approvisionnements et marchés explorés
La qualité de la gemme est définie notamment par la quantité de biomolécules utiles à l’industrie chimique qu’elle contient : les molécules des familles terpéniques, polyphénoliques et des acides résiniques. Pour cela, le projet va suivre un protocole permettant de séparer les composés chimiques de la gemme récoltée, identifier les différents composés, quantifier ces composés. Cette identification sera menée par chromatographie en phase gazeuse et spectrométrie de masse, ou GC-MS. Une étape de recherche ultérieure permettra d’identifier précisément quelles sont les structures anatomiques et les mécanismes biomoléculaires qui contrôlent la production de gemme chez les essences retenues, indiquent les chercheurs. Suite à la caractérisation des essences intéressantes pour le gemmage, il sera possible de définir quels indicateurs sont pertinents à prendre en compte dans le choix des zones qui méritent d’être gemmées, que l’IGN déterminera en s’appuyant sur des méthodes traditionnelles de cartographie à partir de photos aériennes mais aussi sur la photographie 3D, cette innovation devant permettre d’évaluer plus efficacement la hauteur des arbres ainsi que leur densité, des indicateurs qui pourraient être pertinents pour prédire la production de gemme d’un spécimen.
Tandis que l’identification des molécules intéressantes issues du gemmage se poursuit, la première partie du projet ExtraFor_Est dédiée à l’acquisition de connaissances sur les extractibles dans les espèces forestières et les connexes est achevée et se poursuit par l’étude de la logistique et des méthodes de conversion biomasses à extraits pour l’industrie chimique et les marchés des extractibles. L’installation d’un démonstrateur de plateforme régionale est étudiée dans le cadre du Territoire d’Innovation «Des Hommes et des arbres : les racines de demain», et sous l’égide du pôle IAR : analyse des brevets, des acteurs, des projets, réalisation d’une road map pour développer les produits, étude de la question de l’entité juridique, recherche de partenariats industriels, etc. Lors de la sixième réunion publique organisée par ExtraFor_Est, qui inclut un programme de communication et diffusion des connaissances, le thème croisé des approvisionnements et des marchés potentiels a été abordé. «Nous allons prioriser les marchés d’intérêt selon une série de critères technico-économiques au vu de l’intérêt d’industriels aval ; puis proposer un modèle économique d’exploitation des extractibles du bois en fonction des marchés priorisés, les trois critères de priorisation étant les volumes, la valeur et la pérennité. Les marchés étudiés sont très nombreux parmi lesquels : la pharmaceutique, l’alimentation humaine (ingrédient fonctionnel type arôme et complément alimentaire), l’alimentation et la santé animale, la cosmétique, les techniques et matériaux, le biocontrôle», ont indiqué les représentants d’ExtraFor_Est. Arnaud Favier, dirigeant de scierie, a été invité à se prononcer sur l’ouverture de nouveaux débouchés pour les connexes de scieries. «Nous n’avons pas un besoin vital de ce débouché car nous valorisons déjà tous nos connexes, mais il y a plusieurs raisons qui nous poussent à nous intéresser à ce débouché : le marché des connexes gagnerait à se diversifier et à se jouer davantage à échelle locale. Pour l’instant, le marché des connexes est davantage un marché étranger. De plus, nous allons bel et bien vers la fin des produits fossiles, il est donc tout à fait dans notre intérêt de soutenir ce type d’initiative, surtout nous qui sommes, par essence, très proches de la nature ! Néanmoins, malgré ces deux raisons qui nous poussent à nous intéresser à ce débouché, il faut garder en tête qu’il y a un critère économique important : les connexes sont vendus à un prix assez élevé et les marges sont étroites : si le transport est trop long ou trop compliqué, cela peut induire une perte d’opportunité de l’exploitation de ces connexes. Le marché des connexes existe déjà et la plateforme devra s’aligner sur les prix existants car ce marché est vital pour les scieurs.»