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Flux de bois vers les États-Unis : de quoi sont-ils le signe ?

Porte conteneur

Crédit photo Nations Unies
Derrière la demande de bois de construction aux États-Unis – un des motifs de la pénurie en Europe – se profile un secteur en évolution, dans lequel s’invitent les start-up de la construction modulaire et connectée et de très grands investisseurs, y compris des géants du numérique.

Les informations dans cette période de chaos sont elles-mêmes chaotiques sur bien des sujets (et ce n’est pas ici de l’ironie sur la versatilité des communications officielles en matière sanitaire). Ainsi en est-il des informations sur la pompe à bois états-unienne dont on peine à comprendre le fondement, d’une part, et d'autre part pourquoi elle fonctionne si bien !
Le 30 juin dernier, le journal québecois Les Affaires titrait : « Pourquoi les prix du bois d’œuvre resteront élevés ? », en se basant sur son analyse de l’étude publiée mi-juin 2021 par le Rosen Consulting Group, intitulée : « Le logement est une infrastructure essentielle : avantages sociaux et économiques de la construction de logements », réalisée pour l’association nationale des agents immobiliers. L’étude dévoile que, de 1968 à 2000, le stock de maisons neuves aux États-Unis a augmenté en moyenne de 1,7% par année. Or, depuis 2001, ce stock a progressé de 1% en moyenne, et de seulement 0,7% dans la dernière décennie. D’où un déficit moyen qui serait de 276.000 constructions par an depuis 20 ans, et un manque de 5,52 million de maisons. « Historiquement, entre 1968 et 2020, le secteur qui inclut la construction et la rénovation résidentielle représentait 5% du PIB américain. Or, depuis 2008 (début de la grande récession), ce secteur a fondu à 3% du produit intérieur brut », soulignait pour sa part François Normand, du journal Les Affaires. 
Le journal rapportait finalement que, selon Jean-François Samray, président du Conseil de l’industrie forestière du Québec (CIFQ), les prix du bois d’œuvre allaient demeurer à terme élevés malgré la baisse observée au cours des dernières semaines. « Et à cela s’ajoute la demande croissante pour insérer du bois dans la construction non résidentielle afin d’attendre des objectifs de carboneutralité », soulignait-t-il.
Le 18 juin, le bois d’œuvre de résineux en Amérique du Nord se vendait ainsi 1.325 $ par millier de pieds-planche, soit un recul important par rapport au 11 juin à 1.645 $, selon les données du ministère des Ressources naturelles du Canada. La moyenne des 52 dernières semaines s'établissait à 1.227 $, tandis que celle des 4 dernières semaines était de 1.705 $.
Ainsi, des analystes du marché du bois estiment que la pompe à bois américaine pourrait continuer à fonctionner encore longtemps. 
Cela étant, les chiffres avancés ne constituent pas vraiment une explication au boom de la construction aux USA. Les maisons manquent-elles, il n’en reste pas moins qu’il faut de l’argent pour en construire. L’invocation de l’arrivée sur le marché de la génération des "millennials", qui seraient à la source de ces commandes, et de celle des télétravailleurs, peine à convaincre quand dans le même temps, un appauvrissement est intervenu dans le pays suite aux mesures liées au Covid-19, qui ont mis au chômage des dizaines de millions de personnes en 2020. Le 9 janvier, le journal Le Monde rapportait le chiffre de 9,8 millions d’emplois détruits durant l’année 2020. Même si la reprise s'est accélérée en juin, avec 850.000 emplois créés, selon les chiffres du département du travail publiés le 2 juillet 2021, il reste que « le nombre total d'emplois est toujours inférieur de quelque 8,8 millions à sa tendance prépandémique », selon Ian Shepherdson, économiste en chef pour les États-Unis chez Pantheon Macroeconomics, interrogé par Investing.com.
On est ainsi en droit de se demander ce qui dynamise les commandes de maisons aux États-Unis, quand, ainsi que l’Agence France Presse l’écrivait le 15 mai 2021, « aux USA, les consommateurs hésitent entre reprise économique et crainte de l'inflation ». Et aussi si une deuxième crise des sub-primes ne se prépare pas… Mais on sait que le président des États-Unis entend allouer à « la relance » 4.000 milliards de dollars (pour 328 millions d’habitants), quand l'allocation est en Europe de 1,8 milliard d’euros aux prix de 2018 (pour 448 millions d’Européens depuis le Brexit). « Soutenue par les géants de la tech et les maîtres d'ouvrage publics, la préfabrication industrialisée est tirée par des start-up ambitieuses outre-Atlantique », relevait Le Moniteur en fin d’année dernière. Ne serait-ce pas là l’origine de la pompe à bois ? Les maisons individuelles construites hors site n'ont représenté que 2 % du marché en 2018, d'après le Boston Consulting Group (BCG) rapporte le journal de la construction, qui précise que les start-up de préfabrication se répartissent en trois domaines : les constructeurs d'extensions (« accessory dwelling units ») pour les arrière-cours ou les jardins, les concepteurs de maisons haut de gamme et écologiques et, enfin, les spécialistes du logement abordable et de l'habitat d'urgence. « Alors qu'au début des années 2010, la construction modulaire permanente (PMC) ne représentait que 25 % du marché de l'industrie modulaire, elle en constitue aujourd'hui plus de la moitié, note une étude du Off-Site Construction Council, émanation du National Institute of Building Sciences. »
« Des start-up comme Blokable ou Living Homes ont reçu d'énormes investissements de la part d'Amazon par exemple », a expliqué Guillaume Bazouin, responsable des programmes de start-up chez Leonard, la structure de prospective de Vinci, interrogé par Le Moniteur. La filiale de Living Homes, Plant Prefab, a levé 8,6 M$ au total, dont 6,7 M$ en 2018 auprès du fonds d'investissement du géant de la vente en ligne. « Notre clientèle réclame des maisons avec des technologies intelligentes », indique Steve Glenn, le fondateur de Plant Prefab.

Pendant que les États-Unis s’avancent vers un parc immobilier d’un nouveau genre réalisé avec de grands investisseurs par et pour les start-upers, les matériaux manquent en France, y compris le bois. L’Europe s’adonne au commerce maritime, les exportateurs de sciages et produits techniques bois se souciant peu de leurs voisins en demande.
Ici, peut-être faut-il pour essayer de comprendre ce qui se joue faire appel à une analyse spatio-temporelle élargie. La juriste et chercheuse Valérie Bugault, auteure notamment de  « La Nouvelle Entreprise - Géopolitique de l’entreprise », en propose une, certes parmi d’autres, mais à nos yeux intéressante, qu’elle exposait récemment le 7 juin 2021, au centre culturel lémanique les Ateliers de la côte, en Suisse romande, lors d’une vivifiante conférence intitulée « Germes d’avenir ». Elle expliquait que le capitalisme financier, devenu la haute finance, s’est construit sur le commerce maritime, porté à l’origine par l’Angleterre et la Hollande, et que ce pôle politique et juridique « maritime » a évincé le pôle « continental », qui était construit sur deux pouvoirs se régulant l’un l’autre, temporel et spirituel, et sur la notion de « groupe » (quand le « pôle maritime » privilégie le fonctionnement individualiste et la lutte pour le monopole).
« Les « banquiers-commerçants » ont construit leur puissance, au fil des siècles, par le contrôle des monnaies et des « lois ». D'origine anglo-saxonne, ce système a, sous couvert de « liberté », remplacé le modèle de droit continental traditionnel. Les banquiers ont élaboré un archétype mondial de société sans ordre moral via le droit des affaires. Ce « modèle affairiste » a phagocyté toutes les branches du droit – y compris les normes comptables –, les « sciences économiques », les systèmes monétaires, financiers et institutionnels, nationaux et internationaux », explique sans ambages Valérie Bugault. 
Alors que le Covid-19 avait paru faire naître des velléités dé-mondialisation et de souveraineté, on peut (naïvement) s’étonner que les plans de relance ne s’occupent pas de rapatrier tout simplement les flux de bois de construction pour permettre aux entreprises européennes de fonctionner, pourquoi pas avec l’aide de compensations. C’est loin d’être la ligne adoptée quand Mario Draghi affirme – ce n’est qu’un exemple – que l’aide européenne du plan de relance Next génération UE en Italie ne sera pas allouée aux entreprises à main d’œuvre mais tout particulièrement à celles engagées dans l’innovation numérique. C’est que « le droit anglo-saxon est fondamentalement une arme d’hégémonie des puissances financières » – pour citer Valérie Bugault s’exprimant sans détour. Heureusement, la spécialiste du droit des affaires propose des pistes pour qui voudrait réfléchir à comment s’affranchir de cette hégémonie, à commencer par le retour à une pensée de « groupe ». Ce qui suppose de visualiser les forces en présence, clairement explicitées par elle, grâce à son expertise en matière juridique (les joutes politiques actuelles étant la pointe de l’iceberg).
Ce qui est sûr, c’est qu’après avoir provoqué après la « crise des subprimes » de 2008 la récession du secteur de la construction, les banques et les fonds américains sont aujourd’hui en train d’investir dans ce même secteur, avec l’aide des start-up et géants du numérique. Et avec celle des plans de relance tous azimuts.

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