« La Banque mondiale, Indufor, le WWF, Gresham House et bien d'autres prévoient maintenant que la demande de bois et de fibres triplera, voire quadruplera d'ici 2050 », rappelle Ross Hampton, président de l'Association australienne des produits forestiers et président du Comité consultatif de la FAO sur les industries forestières durables dans un pamphlet qui vise à interpeller en prévision de la COP 27. « Partout dans le monde, les nations misent sur plus de bois et de fibres pour faire le gros du travail dans notre effort urgent de réduction des émissions. Ils y jettent l'évier (en bois) de la cuisine. Plus de bois massif dans la construction. Exigent que les compagnies aériennes passent aux carburants d'aviation durables. Les plastiques sont bannis au profit des fibres. Les fabricants de vêtements sont invités à sortir du polyester et à passer à la rayonne. C'est une liste qui s'allonge. Mais le fait qui donne à réfléchir est que ces mêmes nations ne pensent généralement pas à l'évidence, d'où vient la fibre supplémentaire pour toutes ces utilisations merveilleuses ? […] Alors, où est le triplement équivalent de l'offre ? Où sont les politiques pour s'assurer que cela se passe d'une manière durable et attentive aux communautés rurales et en particulier les communautés autochtones basées sur la forêt ? »
Conflits d’usages
Chaque forestier sait qu’à moins de produire du fast-wood, un délai de trente ans ne permettra pas, même dans le cas où des terres seraient allouées à cet objectif (prises sur les terres agricoles ?), pour tripler la production de bois. Il va donc y avoir des conflits d’usage. Les politiques européennes largement en faveur de nouveaux usages hautement technologisés, réunis sous le terme de « bioéconomie »* (bioraffinerie, chimie du bois, gazéification…) ‒ ce que prouvent notamment les fonds qu’elles allouent au consortium public privé « industries bio-basées » ‒ viennent de concevoir un texte (amendement) impliquant l’exclusion de la biomasse forestière primaire des subventions accordées à la production d’électricité dans les installations exclusivement électriques. « À compter du 31 décembre 2026, les États membres ne pourraient plus accorder d’aide à ce type de projets », a indiqué l’association Canopée qui s’est fait l’écho de cet amendement, et s’en est félicité. « Si cette décision est confirmée par un vote du Parlement européen en septembre puis par le Conseil réunissant les États membres, seuls les coproduits de la transformation du bois seront désormais considérés comme une énergie renouvelable et non plus le bois directement prélevé en forêt », précise l’association. On pense immédiatement à la centrale de Gardanne. Le projet « a soulevé de nombreuses questions, par son gigantisme et au sujet de l’intérêt réel de produire de l’électricité avec du bois sans valoriser la chaleur fatale, un problème en passe d’être résolu », indiquait en novembre 2021 l’article dédié à ce projet publié dans La Forêt Privée. La combustion de biomasse forestière primaire à des fins énergétiques est jugée « préjudiciable aux efforts déployés pour faire face à l’urgence climatique. Si la plantation de nouveaux arbres absorbe les émissions au fil du temps, la période de remboursement de la dette de carbone est trop longue, compte tenu du fait que la combustion du bois accentue le réchauffement pendant des décennies, voire des siècles, et ce même si le bois remplace le charbon, le pétrole ou le gaz naturel », indique le rapporteur de l’amendement Nils Torvalds.
Combustion directe et indirecte
On parle ici de combustion directe, mais qu’en est-il de la combustion indirecte du bois devenu pétrole, gaz ou biocharbon, et ceux-ci continueront-ils d’être soutenus ? La question corollaire est : la volonté de la Commission de réorganiser les usages énergétiques du bois aura-t-elle un effet la filière forêt-bois ? Si la cogénération (avec valorisation de la chaleur fatale, notamment pour le séchage) est entrée dans les outils des transformateurs de bois massif, il est peu probable que la bioraffinerie ou la gazéification y entrent, qui requièrent des installations industrielles d’envergure. Entre bois massif et bois déconstruit, la taille, le niveau technologique des unités de production diffèrent, et en conséquence la taille des investissements et l’origine des capitaux. Dans le bois massif, ces derniers sont souvent familiaux ; dans les usages « déconstruits » (et fortement « technologisés ») du bois, ils sont le fait de fonds d’investissement anonymes, transnationaux. Par ceux-ci, le bois rentre dans ce qu’on appelle l’économie financiarisée et globaliste. À noter que les sociétés de biotechnologies industrielles se sont vues offrir par le gouvernement 420 M€ de soutien, en même temps qu’une stratégie nationale « Produits biosourcés et biotechnologies industrielles – Carburants durables » a été lancée le 10 décembre 2021, dans le cadre du 4e programme investissement d’avenir (PIA4) et de France Relance. Cette stratégie va accélérer les projets français alors que de par le monde, un nombre important d’usines de fabrication de carburant à base de bois et de matières premières dites de « chimie verte » voient le jour. Alors que les effets de la combustion directe du bois viennent d'être interrogés, comment ne pas souligner que les effets en matière de réorganisation des patrimoines productifs de la combustion indirecte du bois ne sont pas fréquemment interrogés, ni « le remboursement de la dette carbone » de celle-ci, quand, comme le rappelle Ross Hampton, le « passage des compagnies aériennes aux carburants d'aviation durables » est exigé.
* Selon Réseau Voltaire, Tim Stewart, président de l'US Oil and Gas Association, a déclaré que la crise énergétique qui touche actuellement les États-Unis est la plus grave depuis un demi-siècle. Les prix du diesel et de l’essence sont à un niveau record (+ 48 % pour les carburants, + 32 % pour l’énergie) et les stocks sont à un niveau historiquement bas. L’association souligne que l’Administration Biden n’a aucune stratégie pour résoudre cette crise et que ses décisions vont à l’encontre des demandes des professionnels, précise Réseau Voltaire.
** Il serait plus juste de dire que le terme de bioéconomie regroupe les nouveaux usages hypertechnologisés (bioraffinerie, chimie du végétal, gazéification…) et les usages traditionnels (bois massif, panneaux, papier, bois-énergie), faisant du même coup disparaître ces derniers sous la nouvelle appellation.