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Droit des citoyens : pour un référé forestier ?

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(Aux Citoyens qui méritent ce titre).

De qui se moque-t-on éternellement ?

Depuis notre thèse sur le régime forestier en 1984 [1], et comme le dirait Honoré de Balzac, la comédie humaine se déploie.

Jamais peut-être n’a-t-on autant parlé de forêts, d’arbres, d’écologie… du moins au plus haut niveau, celui qui nous est retransmis par les ondes ou la presse imprimée.

Puisqu’on vient de citer le mot écologie, faut-il rappeler que dans les années 1950, Gunther Schwab lançait un magistral cri d’alerte dans Danse avec le Diable (Tanz mit dem Teufel) [2], dont nous avons rendu compte dans ces colonnes libres depuis toujours au grand honneur de la famille Chavet et de ses successeurs.

1950 ! 2020 ! On est loin de la phrase de l’Empereur : « Allez, Monsieur, courez et n’oubliez pas que le monde a été fait en six jours ». [3]

***

Or donc, concrétisons.

Comme d’habitude on défriche.

Comme souvent, le projet s’étale dans le temps, au gré des aléas des municipalités.

Car on est ici en forêt publique (mais une logique identique se déploie en forêt privée).

Et puis tout à coup, dans un conseil municipal qui détient le pouvoir local, les intérêts privatifs s’éveillent, toujours présents et attisés par la cupidité. Ceci sous couvert du mandat public local.

(et notons bien que ce sont les représentants de la commune qui veulent défricher la forêt de la commune).

Donc, un jour, une Préfecture délivre l’autorisation de défricher.

Un autre jour, un panneau est mis sur le terrain de la forêt communale, sans tambours ni trompettes.

S’il n’y avait pas sur place, des Citoyens actifs, motivés par la forêt, et vigilants, qui veuillent comme le Veilleur de Maurice Barrès sur la colline inspirée [4], c'est-à-dire une association de forestiers et de partisans de la nature naturelle, il n’y aurait rien.

Il n’y aurait rien que cette belle mécanique huilée de la machine administrative qui dans l’indifférence générale, disons aussi la résignation tranquille, porte les fruits funestes de la mort de la nature bétonnée ou autre.

Donc cette association veille. Elle est active. Elle bénéficie aussi d’un juriste spécialisé, successeur de Charles Guyot et Edouard Meaume [5] en d’autres temps, et qu’on a oublié.

La mairie a été active aussi, et elle a le privilège de l’action.

Elle attaque dès le début septembre. On est malin, on est roublard. Et puis, puisqu’on est en pleine lumière d’un été chaud qui se prolonge, il faut faire vite. Deux jours.

L’association [6] n’est pas José Bové. Elle est soucieuse de légalité. Donc dès le premier jour (il faut le faire !), elle dépose un référé puis deux autres au tribunal administratif.

Le tribunal administratif doit prendre le temps nécessaire à la foule de dossiers qui l’accablent. Un référé suspension prend quand même quelques jours, quatre, cinq, six, et on en a vu en juillet qui prennent trois semaines.

En l’espèce c’est quelques jours.

Mais le défrichement s’est fait en deux jours.

***

Voici le résultat.

Les trois référés sont rejetés, en touche, au motif qu’ils sont sans objet : la forêt étant défrichée, il n’y a plus rien à faire ! Basta !

Voilà, voilà, voici.

Grosjean comme devant.

Or donc quand même, le Code de Justice administrative, impose à côté du référé de déposer une demande au fond. Celle-ci sera instruite plus tard, quelques mois ou une année et plus après.

Le temps s’écoule.

Un jour, l’association reçoit un courrier du tribunal, d’après lequel, le tribunal peut soulever un moyen d’ordre public, que la requête est sans objet. Que la forêt étant défrichée… (on connaît la suite).

***

De qui se moque-t-on ?

En définitive de la forêt, de l’arbre forestier.

***

Alors, mon Dieu, que faire ? Il faut vraiment avoir la foi, la croyance dans l’idéal.

Il faut modifier la loi.

Si l’on veut sauver l’arbre, il faut modifier la loi.

Il faut un Référé forestier.

Il faut que quand un défrichement est autorisé, si une association conteste, les opérations soient suspendues automatiquement dans l’instance du jugement.

La présente espèce le démontre, la situation pratique concrète des lois actuelles est inopérante, ridicule.

On pourrait objecter que puisque l’autorisation est accordée, c’est légal. Mais ce serait faire table rase du juge. Encore faut-il motiver le juge, qui est surencombré, et manque de formation à l’intérêt forestier et de l’arbre.

Répétons-le, la situation actuelle conduit au défrichement [7]. L’acier broie, déchiquette, tue l’arbre, le sol, la faune, la flore…

On ne manque pas de spécialistes de normes pour rédiger le texte ; qui pourrait ressembler à celui-ci :

« En cas de référé contre une opération de défrichement de bois ou forêts, la suspension des opérations de défrichement est de droit accordée dans l’attente du jugement au fond ; dans l’instance au fond, le tribunal ne peut invoquer de moyens d’ordre public tenant à la réalisation du défrichement pour dire que la requête est sans objet, et rejeter la demande en annulation de l’autorisation administrative ».

L’intérêt financier (viticole, agricole, urbaniste…) du défrichement des bois ou forêts peut attendre tout de même une année d’instruction de tribunal administratif.

La forêt met beaucoup plus de temps à repousser pour reprendre son rôle de production d’oxygène, de stockage de carbone, et bien d’autres rôles que les belles paroles des cénacles nationaux ou internationaux nous serinent.

Clôturons ce propos citoyen de révolte contre l’état des choses, par la phrase classique que nous avions citée dans notre thèse de 1984, et attribuée à Chateaubriand : « Les forêts précédent les peuples, les déserts les suivent ».

Michel Lagarde

Docteur d’État en Droit - Maître de Conférences à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

Avocat à la Cour - Ancien Professeur de législation forestière à l’ENGREF

www.droitforestier.com - www.impots-forets.com

[1] « Un droit domanial spécial, le régime forestier ; contribution à la théorie du domaine », thèse pour le doctorat d'État en droit, Toulouse, 1984, 727 p. (ouvrage couronné par l'Académie d'Agriculture de France).

[2] Voir notre article « Dans Der Tanz mit dem Teufel, de Gunther Schawb où il est question du sud de l’Europe, du défrichement, de la chèvre », La Forêt Privée, 2018, n° 362, pp. 93-95.

[3]  Mémorial de Ste Hèlène, édition de la Pléiade, tome 2, p. 368.

[4] Voir le site lui-même et la plaque commémorative au Mont St Odile en Alsace.

[5] « Les grands juristes de droit forestier. Le Professeur Edouard Meaume de l’Ecole forestière », La Forêt Privée, 2015, p. 84 à 92.

[6] Il s’agit de l’Association Forestiers du Monde. Il y en a peu d’aussi active en France.

[7] Dans d’autres cas, on se plaindra aussi des inondations consécutives.

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