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De grumes ou d’autres marchandises, le flux doit-t-il rester roi ?

Shipping routes

Crédit photo B.S. Halpern (T. Hengl; D. Groll) / Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0
Le transport maritime est devenu le pivot de l’économie, et la filière forêt-bois s’est aussi amarrée à cet axe. Or derrière ce pivot du commerce maritime mondialisé, institué par l’OMC, se profile le spectre d’une monnaie numérique mondialisée (du monde occidental tout du moins). Cette monnaie, entérinant le fonctionnement globalisé au profit des grands fonds d’investissements, renforcerait la mondialisation et rendrait à terme caduc tout interventionnisme sur les flux « physiques » (les grumes).

« La BCE est au cœur de nombreuses influences « théoriques » qui s'affrontent pour interpréter le mandat confié par les traités. Sous l'influence de Mario Draghi, elle vient d'indiquer discrètement mais officiellement dans quelle mesure elle intégrait la théorie économique portée par le Great Reset de Davos. La Banque de France vient elle-même d'expliquer comment se décline ce ralliement. Rappelons que ce Great Reset a prévu de s'appuyer, in fine, sur la mise en place de monnaies numériques afin d'imposer plus facilement ses règles du jeu. Attention, nous insistons sur ce point, cette théorie économique est fondée sur une propagation de l'inflation et sur une mise sous contrôle des épargnants », affirmait Éric Verhaeghe le 25 novembre 2021 dans le Courrier des stratèges. Dans un communiqué du 24 novembre 2021, la Banque de France avait indiqué que « le Comité national des paiements scripturaux (CNPS) réaffirme son fort intérêt pour la phase d’investigation lancée par le Conseil des Gouverneurs de la Banque centrale européenne au sujet de l’émission d’un euro numérique, et renouvelle sa volonté de contribuer à la réflexion à l’échelle européenne, notamment en lien avec l’Euro Retail Payments Board (ERPB) ».

À priori, nous sommes loin du sujet des flux de bois, et tout particulièrement des flux de grumes à l’export qui retiennent toute l’attention de la filière actuellement. Une situation décrite par l’Office économique du bois wallon comme une « difficile équation ». « Pour développer les ventes en gré à gré à destination des scieries locales, la solution réside finalement dans une volonté politique à plusieurs niveaux : communal, régional et européen. Le problème est en effet loin d’être limité à la Belgique. Difficile équation donc ! Les entreprises locales réclament un soupçon de dirigisme et d’interventionnisme de l’État (comme on le retrouve dans d’autres régions du monde où la démocratie est pratiquée à géométrie variable) dans un grand verre de libéralisme économique presque sacré à leurs yeux. Une goutte d’huile dans un grand verre d’eau. Pendant ce temps, certaines communes vont essayer d’aller chercher jusqu’au dernier euro, sans se soucier de l’économie wallonne à moyen et à long terme. C’est-à-dire sans véritablement se demander qui leur achètera leurs bois quand les scieurs locaux auront disparu et que les Chinois seront seuls à faire le prix (comme c’est déjà le cas pour le hêtre) ou se seront détournés du chêne européen. Enfin, les différents États membres et l’Europe ont bien trop peur d’indisposer un partenaire commercial comme la Chine avec des mesures protectionnistes visant un marché qui ne représente finalement pas grand-chose dans la balance commerciale ».

Les conteneurs de bois, point focal de la filière, ne sont que la pointe d’un iceberg. Les flux de bois ne sont qu’une infime part des flux de marchandises (parmi lesquelles il est vrai ils ont pu remplir à certains moments un rôle particulier, lié au lestage des bateaux de commerce de retour vers l’Asie). Or, ces flux de marchandises sont le reflet d’une mondialisation économique savamment orchestrée.
F. William Engdahl, précisait le 21 juillet 2021 dans le New Eastern Outlook (analyse traduite par Le Saker francophone) que selon le département de recherche de Statista, basé en Allemagne, environ 80 % de toutes les marchandises sont transportées par voie maritime, notamment le pétrole, le charbon et les céréales. « Sur ce total, en termes de valeur, le commerce maritime mondial de conteneurs représente quelque 60 % de l’ensemble du commerce maritime, évalué à environ 14.000 milliards de dollars US en 2019. Ce transport maritime est devenu le pivot de l’économie mondiale, pour le meilleur et pour le pire », ajoutait-il, avant d’expliquer qu’« il s’agit d’une conséquence directe de la création de l’OMC dans les années 1990, avec de nouvelles règles favorisant l’externalisation de la fabrication vers des pays où la production était bien moins chère, tant que le transport maritime était bon marché. Après son adhésion à l’OMC en 2001, la Chine, appelée « l’atelier du monde », est devenue la plus grande bénéficiaire de ces nouvelles règles. Des industries entières telles que l’électronique, les produits pharmaceutiques, les textiles, les produits chimiques ainsi que les plastiques ont été transférées en Chine, où les salaires étaient alors les plus bas au monde, pour y être assemblées en usine. Cela a fonctionné car le coût de l’expédition vers les marchés occidentaux était comparativement faible. »

La maîtrise des flux

Les grands fonds d’investissements occidentaux* ont promu la mise en œuvre de « l’usine chinoise » qui les a enrichis via un commerce mondialisé  jusqu’à ce qu’à force de travail humain, la Chine s’enrichisse elle-même (développement des entrepreneurs, d’une classe moyenne, etc.) et soit capable de s’autonomiser sur les marchés mondiaux. Elle a même créé en 2015 son réseau interbancaire Cips pour pallier l’hégémonie du dollar et du réseau interbancaire occidental Swyp, créé en 1973 en Belgique, puis contrôlé indirectement par le Trésor américain dans les années 2000 et utilisé à des fins politiques. Elle a créé l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), autour de l’alliance russo-chinoise, et œuvre à l’intégration de l’Eurasie.

Las ! Ces fonds d’investissements veulent bien un atelier du monde, mais sous leur coupe ! La question qui se pose à eux est de réussir à continuer à s’enrichir de la gestion des flux mondiaux de marchandises (et désormais de carbone, ce qui est un autre sujet, bien que connexe). La mise en place d’une monnaie numérique mondiale leur permettrait de reprendre la main : celui qui bat monnaie (fut-elle électronique) est le roi (à condition d’être consenti comme tel...). Une gestion totale des flux de marchandises est possible par le contrôle total de flux d’argent rendus totalement virtuels, ce qui permet, pour reprendre l’expression d’Eric Verhaeghe « d'imposer plus facilement ses règles du jeu ».
 
Le lien entre commerce maritime et économie n’est elle plus à démontrer : la désorganisation du transport maritime qui a fait suite aux états d’urgence instaurés début 2020 a eu et continue d’avoir des retentissements sur toutes les entreprises. 
À noter que pour l’heure, la réouverture des économies a conduit a d’énormes flux de marchandises de la Chine vers les États-Unis, ce qui a eu pour effet d’assécher les États-Unis d’un peu plus de dollars. À noter également que pour l’heure, la désorganisation du transport maritime n’impacte pas les exportations de grumes vers l’Asie, car les prix de location de containers restent dix fois moindres dans le sens Europe-Asie : l’indice de fret conteneurisé quotidien freightos indiquait pour le 26 novembre un prix moyen de 1.324 $ de l’Europe du Nord à la Chine/Asie de l’Est, et de 14.368 $ de la Chine à l’Europe du Nord. 
Ces effets de terrain pourraient n’être considérés que comme des épiphénomènes ( le « physique » étant devenu secondaire) pour les adeptes d’un contrôle globalisé des flux par la monnaie numérique, étape qui est la suite logique du déploiement du commerce maritime mondial et de la financiarisation associée.

Côté Chine, certaines sociétés qui se sont enrichies et plus ou moins émancipées du pouvoir ont le cœur qui balance du côté des fonds d’investissements occidentaux qui y injectent de l’argent, mais celui de l’État chinois bascule du côté de la défense de sa souveraineté. Récemment ce dernier a interdit les bitcoins, ce qu’a relaté le Bitcoin Magazine, ce qui indique combien le sujet des cryptomonnaies est sensible. Le yuan numérique est en développement. Récemment aussi s’est étendu le marché alternatif au marché en dollars, quand l’OCS a approuvé en septembre 2021 la future adhésion de l’Iran. 

Côté occidental, le dollar moribond pousse à la course à la numérisation de la monnaie, à laquelle la mise en place du contrôle sanitaire numérique ouvre la voie. Même si les adeptes d’un gouvernement financier mondial promeuvent la monnaie numérique, capable de donner les pleins pouvoirs (et au passage la maîtrise de tous les portefeuilles de tous particuliers et de toutes les PME), ils n’ont pas encore atteint leur but, quoique les annonces de la BCE relatées en début d’article soit un signe dans le sens d’une accélération de la poussée.
Pourtant, après que la BCE a battu monnaie et paru sauver les entreprises d’un virus mondial, quel effet à long terme aura l’argent injecté dans les entreprises ? Un pays comme la France peut-il rester une nation souveraine ou doit-il finir comme dominion d’un gouvernement financier occidental voire mondial basé sur la monnaie numérique ?

Et le bois ? Les acheteurs chinois font leur travail d’approvisionnement des usines qui se sont déployées chez eux (par les actions de l’OMC), il est dès lors difficile de les dénigrer. Beaucoup de voix s’élèvent pour une régulation des flux de bois. Il apparaît de plus en plus que sans souveraineté sur les flux d’argent, il n’y aura pas de souveraineté sur les flux de marchandises.
Le monde de la finance s’est bâti sur des flux ; il entend se perpétuer grâce à des flux hyper contrôlés et maîtrisés grâce à la monnaie numérique. L’endroit où sont les matériaux, les industries, les entreprises et les travailleurs est pour lui secondaire. 
Le thème de la régulation des grumes ne peut être réfléchi sans remettre en cause la perméabilité aux flux des états nationaux (élaborée par l’OMC), et cela a à voir désormais avec la souveraineté monétaire.
Pour l’heure, la perméabilité des États nationaux aux flux du monde financier vient encore d’être augmentée – on devrait plutôt parler de fissuration désormais. Pfizer, BioNTech et Moderna engrangent un profit combiné de 65.000 dollars par minute grâce à leurs flux de vaccins contre le Covid-19, nous dit une étude de la People’s Vaccine Alliance**. Belle aubaine pour le monde financier à qui revient outre l’argent, une préfiguration d’un portefeuille numérique pour tous : le beurre et l’argent du beurre...

 

* « Avec 20.000 milliards de dollars à eux deux, Blackrock et Vanguard pourraient posséder presque tout d'ici 2028 », annonçait en 2017 un article du Financial Post !


** D’après les calculs de la People’s Vaccine Alliance, relaté par un article du magazine Capital basés sur les résultats publiés par ces entreprises, le trio réalisera des bénéfices avant impôts de 34 milliards de dollars (31,5 milliards de francs suisses) cette année, soit plus de mille dollars par seconde, 65 000 dollars par minute ou 93,5 millions de dollars par jour. 
 

Source de la carte du transport maritime : B.S. Halpern (T. Hengl; D. Groll) / Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0

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