Le coup d’arrêt porté à l’économie a impacté le secteur forêt-bois, à la suite de l’arrêt des chantiers de construction et du ralentissement brutal de la consommation des ménages. Certains secteurs à certains endroits s’en sont toutefois mieux tirés que d’autres. Ainsi, tout récemment, la présidente de l’American forest & paper association (AF&PA), Heidi Brock, a annoncé qu’en février et en mars 2020, en réponse à une demande sans précédent liée au Covid-19, l’industrie américaine a battu son record de production de papier soie (celui qui sert à fabriquer le papier hygiénique et les serviettes en papier, que les Américains appellent «tissue», et qui désigne en fait une classe de papiers de texture vaporeuse et, dans certains cas, assez transparente). «Les usines de «tissue» des États-Unis en ont fabriqué près de 700.000 tonnes en mars, soit plus que tout autre mois depuis 2007, lorsque l’AF&PA a commencé à collecter des données historiques mensuelles. Cela équivaut à plus de 4 livres de tissu pour chaque résident américain. [...] En février et mars, les membres de l’AF&PA ont livré plus de 22.000 tonnes de tissus par jour, un record historique pour l’industrie», a-t-elle souligné.
L’augmentation ce printemps de la consommation de papier d’hygiène a été liée aux comportements induits par l’état d’urgence sanitaire, dont on peut se demander s’ils vont être pérennes. Sans doute la peur de la contagion bactérienne et virale va-t-elle s’installer pour un temps dans les populations. Mais il y aura d’autres conséquences sociales à la pandémie de Covid-19, à n’en pas douter. On ne parle pas ici d’évolutions liées à la déstabilisation et à la reprise économique, mais de changements inédits dans les habitudes de vie.
L’un d’entre eux est lié à un recentrement sur l’habitat. Si les secteurs bois de tous les pays s’attendent à un ralentissement provisoire des mises en chantier et donc de la demande de bois d’œuvre, celui-ci pourrait être suivi par certaines embellies dans les marchés. C’est l’avis de l’analyste du marché du bois d’œuvre au Massachusetts Paul Jannke qui a livré ses réflexions à la rédactrice en chef adjointe du journal de l’agriculture californien AgAlert. «La baisse durera entre trois et six mois, mais au-delà, nous devrions commencer à voir les choses s’améliorer à nouveau et revenir à des niveaux assez décents», a-t-il estimé. «Comme la plupart des gens sont restés chez eux ces dernières semaines, certains entreprennent des projets négligés de réparation et de rénovation de leur habitat», ce qui devrait selon le spécialiste profiter aux producteurs de bois de Californie qui approvisionnent les magasins de produits en bois. Paul Jannke s’attend à ce que dans un avenir proche, la composante dédiée à l’habitat de la consommation soit assez forte : «Les gens vont se tourner vers des projets résidentiels, soit parce qu’ils ont reporté ces projets, soit simplement parce qu’ils n’ont nulle part ailleurs où dépenser leur argent». Il est vrai que des entraves vont subsister pour un temps aux projets de voyage, par exemple.
Un autre facteur très important est la pratique du telétravail. L’analyste prévoit une évolution structurelle des modes de travail et que cette augmentation du nombre de personnes qui travailleront à domicile aura pour conséquence «une augmentation de la demande de bois d’œuvre à mesure que les gens feront des modifications dans leur maison pour y ajouter des bureaux à domicile». «Nous pensons que cela devrait conduire à une consommation supplémentaire de bois», conclut-il, optimiste.
Dans un futur proche, c’est un besoin en nouvelles sortes de mobiliers qui pourrait se faire jour au niveau des commerces, restaurants, bars, bureaux... Des artistes ont déjà exploré le concept de la cloison séparatrice d’espaces, à l’image de l’artiste papier Jean-Michel Letellier exposé par la galerie en ligne N+CO, qui propose des cloisons en fibres de mûrier… Le bois devrait se prêter fort bien à l’exercice consistant à créer de tels nouveaux mobiliers post Covid-19.
Forêt
Changements sociétaux dus à la pandémie : y-aura-t-il des opportunités pour le bois ?
