Élargir les usages de bois dits « à défauts » mais ayant toutes les aptitudes requises y compris mécaniques, est un chantier que portent les professionnels depuis nombre d’années déjà. Le bâtiment des laboratoires du centre Inra de Nancy a été bâti en gros bois de sapin, incluant nœuds et fentes, avec la volonté de donner une vitrine à ces bois délaissés alors qu’ils ont des caractéristiques mécaniques adéquates pour la construction. La préférence des architectes, des entrepreneurs de la construction, va encore souvent à des bois lisses, sans « défauts », standardisés. Tout récemment, lors d’une réunion de filière sur les défis RSE, Denis Dagneau, directeur de l’ONF Grand Est, proposait ainsi de continuer à expliquer aux architectes que le bois n’est pas du plastique et qu’il faut par conséquent accepter qu’il n’est pas standardisé – un changement culturel ! Les constructions en bois scolytés commencent à se développer depuis peu.
Les « défauts » critères de beauté
Pour ce qui est des objets bois, la démarche n’était pas évidente, de transformer ce qui était vu comme des « défauts » en critères de beauté. Ce sujet quasi philosophique, Cyril Grandgirard, amoureux du bois, l’a pris à bras-le-corps – ou plutôt à bras le tour et autres machines à bois – dans son atelier de luthier. Le Franc-Comtois, passionné d’instruments de musique, a créé l’atelier de lutherie CG Lutherie après un CAP de menuiserie en formation pour adulte et douze années d’expériences professionnelles en menuiserie et agencement. Propos un peu iconoclaste dans le monde de la lutherie, mais inspiré par un caractère empreint d’humilité, Cyril Grandgirard aime à dire que la lutherie c’est pour une bonne part de la « menuiserie de haute précision ». Le succès a été au rendez-vous tout de suite grâce à un travail de précision, justement, un style unique, et la passion conjointe de la musique et du bois. CG Lutherie fabrique basses et guitares folk et électriques sur-mesure. Celles-ci marient un grand nombre d’essences de bois local dont le luthier a appris à apprécier tous les potentiels sonores en plus de leurs aptitudes à être travaillées en lutherie.
À partir de 2020, le secteur de la musique ayant été un peu mis à mal par la période d’état d’urgence sanitaire, le luthier a développé une nouvelle corde à son arc bois, en devenant designer d’objets. Ceux-ci sont diffusés sous la marque Mokuzaï Workshop. Bols, vases, vide-poches, stylos… toutes les créations Mokuzaï Workshop sont uniques. Elles le sont dans la forme, selon les essences de bois choisies, selon les techniques et les finitions, mais aussi pour certaines d’entre elles parce que Cyril Grandgirard a choisi de ne pas purger les défauts des bois qu’il utilise, mais plutôt de les mettre en valeur, et de montrer ainsi l’histoire de chaque arbre, de chaque grume, de chaque planche…
En cette fin d’année 2022, Cyril Grandgirard travaille sur une petite série de pièces qu’il a nommée « Nama ». « Cela signifie « à l'état brut » en japonais », explique-t-il. « Donc les formes sont d'inspiration japonaise, avec une finition brute de gouge, pas d'abrasif, dans des bois le plus souvent fissurés, ou attaqués par les xylophages, pour mettre en valeur le grain et la vie du bois ».
La beauté des objets inédits Mokuzaï Workshop les rend aptes à résonner loin dans le cœur des amoureux de nature et de forêt, nombreux, et dans celui des passionnés de bois. Demain, peut-être, au fur et à mesure que la culture se transformera, la standardisation ne sera plus de mise, ce qui aura pour effet une meilleure efficience dans l’utilisation de la ressource en bois.