« Ilha da Madeira », l‘île au bois en portugais. C’est ainsi que des navigateurs lusitaniens dénommèrent la plus grande terre de ce petit archipel qu’ils découvrirent couverte d’épaisses forêts vers 1418. Localisée à 970 km au sud-ouest de Lisbonne et à 640 km des côtes marocaines, Madère n’avait jamais connu de présence humaine avant le début du XVe siècle et son faciès largement boisé impressionna l’esprit des premiers Portugais qui y débarquèrent.
Planté au large de l’Afrique occidentale, l’archipel présente une topographie très mouvementée résultant d’une succession d’événements volcaniques au cours de l’ère tertiaire. Madère échappa aux grands bouleversements climatiques du quaternaire grâce à son insularité. D’où la présence, à sa découverte, de la même forêt originelle qui couvrait l’Europe méridionale avant que les dernières glaciations et l’aridité ne déforestent presque complètement le vieux continent.
Cette forêt relique, appelée laurasilva, se compose de grands lauriers qui coiffaient une grande partie de Madère à l’arrivée des colonisateurs. Quelques très vieux spécimens – encore visibles de nos jours – ont échappé aux déboisements consécutifs aux brûlis destinés à créer des cultures (céréales, canne à sucre…) et des pâturages, alors que des coupes sévères prélevaient dans les peuplements indemnes du bois de construction. De cette forêt originelle, il ne reste aujourd’hui que des maigres pans appauvris occupant les régions sommitales de l’île.
Des menuisiers dépendant des importations
De nos jours, cet environnement naturel particulier, caractérisé par des paysages grandioses où les montagnes s’abîment dans l’Océan Atlantique, favorise une activité touristique très importante pour Madère : avec plus de 1,5 million de touristes par an, le secteur représente 20 % de son économie. Cependant l’île, sous statut de région autonome du Portugal, a souffert d’une gestion calamiteuse au début du XXIe siècle. Un plan d’austérité a été imposé par Lisbonne pour endiguer le creusement d’une dette abyssale.
La rigueur des comptes publics, conjuguée à la crise du Covid, a eu des conséquences : sur la dernière décennie, l’île a perdu plus de 6 % de sa population, près de 17 000 habitants quittant l’archipel dans l’espoir d’une meilleure vie sous d’autres latitudes. Heureusement, depuis le printemps 2022, le retour des touristes, et de nouveaux investisseurs attirés par les facilités fiscales qu’offre la zone franche de Madère, ont relancé l’économie de l’archipel.
C’est dans ce contexte qu’agissent les professionnels du bois à Madère. Le secteur pèse peu dans l’emploi local et l’approvisionnement de la filière dépend surtout des importations, une faible part du bois transformé étant issue de plantations d’eucalyptus et de pin maritime, essences à croissance rapide résultant d’une campagne de reboisement lancée dans les années 1970.
Carpintaria Lunes, une menuiserie généraliste de Madère
Carpintaria Lunes est une des menuiseries caractéristiques des artisans du bois opérant à Madère. Les frères Gabriel et Joao Lunes dirigent cette petite affaire située dans un quartier dominant le port de Funchal, la capitale de l’archipel. « Mon frère Joao, qui a maintenant 60 ans, arpente l’atelier familial depuis l’âge de 10 ans. Comme moi, il a été formé par mon père qui nous a transmis un savoir-faire acquis au cours d’une quarantaine d’années de pratique. »
Gabriel Lunes jouissait sans doute de plus d’aptitudes scolaires que son frère aîné : il n’est arrivé dans l’atelier qu’après le collège et, à la mort de son père, il a pris la direction de la petite entreprise dans laquelle il gère les achats, la comptabilité, établit les devis et conclut les marchés tout en participant à la fabrication et à la livraison des produits. « Nous formons un duo complémentaire car Joao a le sens du contact avec les clients et il possède une grande connaissance des bois et de leurs caractéristiques techniques. »
Le gérant de Carpintaria Lunes insiste sur la renommée d’une enseigne qui a pignon sur rue depuis plus de 60 ans à Madère. « Nous sommes une menuiserie généraliste agissant à la fois dans la fabrication de meubles neufs, dans la réparation de mobilier usager et dans la restauration de pièces anciennes. » Les deux frères ne travaillent que sur commandes et en sur-mesure pour les réalisations en neuf de mobilier d’intérieur et d’extérieur.
Style colonial et réalisations contemporaines
La gamme de produits que propose la menuiserie Lunes répond aux besoins multiples d’une clientèle variée et dans des lignes adaptées à la demande où le style colonial côtoie des réalisations contemporaines. Pour les particuliers, les deux frères fournissent l’ensemble du mobilier d’une habitation, de la cuisine aux escaliers, en passant par les bibliothèques, dressings et autres éléments de rangement. Des portes (intérieur et d’entrée), des entourages de cheminées, du parquet et même des balustres tournées de balcon complètent leur catalogue.
Lunes s’adresse aussi à des professionnels de la restauration, de l’hôtellerie et d’autres secteurs économiques de l’île souvent liés au tourisme. Dans ce cas, il s’agit de fournir du mobilier d’agencement pour des bars, restaurants, bureaux, espaces d’accueil. Toutefois, ce créneau n’est pas la cible principale des deux frères car, si ceux-ci utilisent des panneaux de particules mélaminés et des contreplaqués, ils préfèrent ouvrager du bois massif.
« Nous nous fournissons surtout en plateaux dépareillés et en avivés ainsi qu’en placages tranchés », précise Gabriel Lunes. Pour le mobilier courant et les faces non visibles, les frères Lunes s’approvisionnent en eucalyptus et en pin maritime de Madère, et en pin radiata du Portugal continental. Pour les ouvrages plus élaborés, l’acajou du Brésil sera employé mais le duo préfère les essences natives de l’île comme le til.
De la restauration de patrimoine à la menuiserie de base
De son côté, Elas Arte & Restaura s’est spécialisé dans la restauration de mobilier du patrimoine. Deux jeunes femmes animent à Funchal ce studio d’un genre particulier. Maria, une jeune madérienne d’une trentaine d’années, a étudié l’ébénisterie au Portugal avant de se spécialiser dans la sculpture sur bois. Sa collègue Patricia, originaire de la Galice espagnole, a reçu une formation pointue dans la restauration de boiseries anciennes et dans les finitions peintes.
Les deux comparses, qui travaillaient pour le compte de la même société portugaise, ont fait connaissance lors de la restauration de la cathédrale de Funchal. « À l’issue de ce chantier qui a duré presque deux ans, nous nous sommes dit, pourquoi ne pas créer ensemble une entreprise ? » Ce qui fut fait juste après le Covid en reprenant un petit atelier de menuiserie en 2021.
Les deux ébénistes ont mis en commun leurs compétences et leur passion pour le bois. Si elles restent toujours motivées par les travaux de restauration d’objets du patrimoine ancien et par la rénovation de vieux mobilier, elles ont dû s’adapter à la réalité du marché. « C’est pourquoi, nous fabriquons des meubles et des ouvrages de menuiserie nous apportant un complément de revenus. » Elles aussi apprécient les essences de la laurasilva, notamment le til dont le bois à l’aspect singulier met en valeur leurs créations aux lignes contemporaines. Et comme les deux jeunes femmes ne sont pas avares de leur savoir, elles donnent désormais des cours d’initiation à la menuiserie dans une association accueillant des habitants de Madère.
Le til, bois précieux de Madère
La déforestation qui a sévi au cours des siècles derniers à Madère n’a cependant pas complètement détruit la laurasilva. Les 15 000 hectares qui subsistent encore aujourd’hui dans l’île font de cette forêt native la plus étendue de toute la Macaronésie, seul endroit où on la rencontre encore sur terre. Ce chapelet d’îles atlantiques s’étendant du Cap-Vert aux Açores cache en effet une forêt subtropicale humide unique, appréciant l’atmosphère brumeuse générée par les alizés. Certains des vieux lauriers à feuilles persistantes qui la composent étaient déjà présents à l’arrivée des Portugais, les plus grands spécimens pouvant atteindre une quarantaine de mètres de hauteur.
Le til – Ocotea foetens pour les scientifiques – est le plus emblématique de ces grands lauriers. Fraîchement coupé, son bois dégage une odeur désagréable qui justifie son appellation (foetens signifie en latin fétide). Le til était autrefois abondamment utilisé par les îliens en mobilier et en construction. Son bois sombre et ombragé présente une esthétique figurée qui n’est pas sans rappeler le noyer commun. Cette caractéristique le destine de nos jours à des usages plus contemporains. Son extrême rareté en fait un bois très précieux à Madère.
Madère en bref
Localisation : Atlantique Nord, 973 km au sud-ouest de Lisbonne, 640 km à l’ouest des côtes du Maroc
Composition de l’Archipel : une île principale (Madère, 750 km2) et une île secondaire (Porto Santo, 43 km2). Quelques îlots inhabités
Superficie : 801 km2
Climat : océanique subtropical
Pluviométrie : de 500 mm sur la côte sud-est à 2 000 mm sur la côte nord. Effet de foehn et nébulosité en altitude
Altitude maxi : 1 862 m au Pico Ruivo
Géologie : d’origine volcanique
Topographie : montagneuse
Statut : Région autonome du Portugal
Population : 251 000 habitants (-16 700 sur 2010-2020)
Capitale : Funchal
PIB 2022 : +6,7% (Portugal)
Taux de chômage 2022 : 7 %
Activités (en % de l’emploi) 20 % tourisme, 10 % agriculture (dont forêt-bois 1 %)