Robert Dieudonné est président du Pôle forêt de la Fédération nationale Entrepreneurs des territoires (FNEDT) et administrateur de la CCMSA.
Le Bois International - Monsieur Dieudonné, vous êtes devenu le président du Pôle forêt de la Fédération nationale Entrepreneurs des territoires le 11 mars 2021. Ce n’est pas un hasard : vous êtes dirigeant d’une entreprise de travaux sylvicoles depuis des décennies et vous avez de très nombreuses responsabilitésdanslesorganisationsprofessionnelles. Pouvezvous tout d’abord nous décrire brièvement votre parcours entrepreneurial ?
Robert Dieudonné : J’ai commencé par être bûcheron salarié puis responsable de chantier de découpe de bois en forêt et en scierie avant de m’installer en juillet 1987 comme entrepreneur de travaux forestiers et sylvicoles – au début avec une 4L d’occasion une tronçonneuse et une débroussailleuse ! En 1988, un premier salarié a été intégré, puis d’autres, au fil du temps, si bien que mon entreprise emploie à ce jour 18 salariés, dont mes deux fils qui m’ont rejoint. J’ai donné une orientation sylvicole à l’activité – l’idée de contribuer à la forêt de demain m’étant chère –, mais j’ai aussi rapidement cherché à la diversifier pour pallier le caractère saisonnier des chantiers. Je me suis intéressé dès 1989 à l’entretien des lignes électriques et des ouvrages et réseaux liés à la distribution de l’énergie. J’ai intégré les travaux d’élagage et environnementaux... Aujourd’hui l’un de mes fils, David, s’occupe dans l’entreprise du pôle entretien des réseaux par l’élagage, notamment urbain. Et l’autre, Christophe, de la sylviculture et du bûcheronnage délicat. Depuis 2018 mon petit-fils Corentin gère l’entretien des réseaux pour GRTgaz. La société travaille aussi bien en forêt publique que privée.
LBI - Votre entreprise est l’une des plus importantes et expérimentées de son secteur d’activité et est investie dans l’innovation. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
R. D. : En ce qui concerne les savoir-faire et les compétences de l’entreprise, nous sommes attachés à la formation des salariés et investis auprès des organismes de formation. La société a à son actif une quarantaine de sessions d’apprentissage. Les métiers que nous pratiquons sont très durs et nous avons toujours voulu marier un travail de qualité pour les clients avec un travail respectueux de la santé des salariés. C’est dans cet esprit que nous avons par exemple développé l’outil Regedent, qui permet de soulager les planteurs tout en développant une technique favorable à la reprise des plants, auquel s’est intéressée l’Inra Nancy avec qui nous collaborons. Nous n’avons pas déposé de brevet sur cet outil et encourageons les entreprises qui le souhaitent à s’en emparer.
LBI - Pouvez-vous nous décrire également vos engagements au sein de la profession de manière brève, et en particulier votre entrée récente au sein du bureau national de la CCMSA ?
R. D. : J’ai été durant de nombreuses années au conseil d’administration de l’antenne lorraine de la FNEDT et je suis entré en 2013 au conseil d’administration national. En 2009-2010, je suis entré dans un groupe de travail du ministère de l’Agriculture visant à la production du texte d’un futur décret relatif aux travaux forestiers pour l’entretien des lignes électriques – en l’absence de celui-ci en effet, les règles pour les travaux de BTP sont appliquées. Je fais partie de Qualiterritoires : un entrepreneur de travaux forestier habilite ses salariés ; en matière de responsabilités et compétences, c’est quelque chose de très important. Récemment, j’ai participé à l’élaboration de la convention collective des Entrepreneurs de travaux agricoles ruraux et forestiers, étendue au 1er avril 2021. Il faut noter que Fransylva nous a rejoint. Puis nous avons travaillé en Lorraine à l’accord territorial correspondant, dont la signature est intervenue le 5 août. Nous avons le projet de créer l’association des ETF du Grand-Est cette année, qui bénéficie désormais d’un animateur. Nous devons attirer les jeunes à l’intérieur de l’association : c’est im- portant qu’ils s’impliquent même si FNEDT représente aussi les non-adhérents. La MSA m’a sollicité en 2020 pour entrer à son conseil d’administration national, auquel je siège donc depuis le printemps. J’y représente les employeurs du secteur forestier, qui n’étaient pas jusque-là représentés au sein de ce conseil.
LBI - Le secteur forestier est actuellement touché à la fois par des évènements extérieurs et des évènements qui lui sont spécifiques. Pouvez-vous nous dire tout d’abord comment les entrepreneurs de travaux forestiers ont traversé la crise de la Covid-19 jusque-là ?
R. D. : Il y a eu peu d’impact. Comme tout le monde, nous avons couru après les masques, et dû faire face à la peur de certains salariés. Mais les plants étaient là, à mettre en terre, et ces travaux étaient prioritaires, qui plus est conduits en extérieur, donc l’activité a continué, et le travail a été récompensé par des primes.
LBI - Qu’en est-il de l’impact sur la profession de la crise sanitaire en forêt ?
R. D. : Il est à venir : il y aura un «trou d’air» futur en ce qui concerne l’abattage, suite à la crise des scolytes. De ce fait j’invite les entrepreneurs de travaux forestiers à se reconvertir dans la sylviculture – depuis toujours, j’ai encouragé mes apprentis à s’installer s’ils le souhaitaient car je pense qu’il vaut mieux avoir des concurrents compétents plutôt qu’une mauvaise concurrence qui brade les prix au détriment de la qualité – car les besoins en travaux de reboisement dépassent les capacités. La difficulté du métier rebute et je pense qu’il faut encourager une petite mécanisation dans ce type de travaux. C’est tout l’objet de l’outil Regedent évoqué ci-avant. Il y en a d’autres qui ont été créés. Il va falloir favoriser et valoriser le travail du planteur. Il faut noter que si la crise des scolytes amène un retard phénoménal en forêt, il y avait déjà un retard qui n’avait pas été résorbé depuis 20 ans, depuis la tempête de 1999...
LBI - Avec ses mesures reboisement du plan de relance suite à l’état d’urgence sanitaire, le Gouvernement met la pression sur le secteur des entreprises sylvicoles. Le ministre de l’Agriculture a annoncé le 16 juillet vouloir confier les travaux de reboisement à des personnes en insertion... En tant qu’un des plus grands spécialistes du reboisement, qu’en pensez-vous ?
R. D. : Le reboisement est une activité qui nécessite des compétences ; il faut prévoir de former les salariés et que les centres de formation proposent des formations courtes en sylviculture, des spécialités d’initiative locale par exemple. Par ailleurs, il ne sert à rien de précipiter les plantations si nous n’avons pas les moyens humains, et donc d’imposer une échéance très courte. Les travaux forestiers, ce n’est pas de la magie, si j’ose dire.
LBI - Quelles sont vos priorités pour vos mandats de président du pôle forêt de la Fédération nationale Entrepreneurs des territoires et d’administrateur de la MSA ?
R. D. : Le sujet de la sécurité au travail a toujours été central pour moi – ayant été blessé définitivement à l’œil à l’âge de 22 ans par une branche, je suis naturellement très conscient des dangers. Mes engagements pour la profession ont beaucoup porté sur ce sujet (ma participation à l’élaboration du décret sur les travaux d’entretien des lignes électriques par exemple). En Lorraine, nous avons mis en place le réseaux des points de secours en forêt, fruit du partenariat des ETF et des autres acteurs forestiers, de la MSA, des collectivités, qui s’est étendu au niveau national. À l’heure actuelle, nous développons au niveau national avec la MSA le service Présence verte pour la protection des travailleurs isolés. Les entrepreneurs de travaux forestiers paient un lourd tribut en matière de santé et sécurité au travail, et là est une de mes priorités. Une autre priorité, déjà évoquée, est la formation aux travaux sylvicoles et naturellement nous nous rapprochons plus que jamais des centres de formation. Un autre projet que nous portons est d’obtenir l’égalité des salaires et des droits sociaux pour les travailleurs détachés identiques à ceux de notre régime social.